Partager sur :

Macron et le «quoi qu’il en coûte ukrainien»

Pour bien signifier à l’opinion française la gravité de la situation, Emmanuel Macron avait mis en scène deux événements politiques majeurs. Le premier est la réception à l’Élysée de deux anciens présidents de la république: François Hollande et Nicolas Sarkozy. Son objectif était moins d’écouter les conseils et l’expérience des anciens que de leur communiquer son argumentaire de mobilisation en faveur de l’Ukraine. Le second est sa rencontre avec les différents chefs de partis.

Il est vrai qu’Emmanuel Macron avait pris l’habitude de les convoquer dans l’espoir de tenter de construire une forme de consensus national, qu’il juge crucial, sur des questions sociétales, mais la rencontre sur l’Ukraine prend une dimension particulière. Il ne s’agit ni plus ni moins que de tenter de convaincre ces chefs de partis de la pertinence de sa vision de la guerre entre la Russie et l’Ukraine.

En leur parlant de l’indispensable échec de la Russie dans cette confrontation militaire, Emmanuel Macron sait qu’il a en face de lui des leaders de l’opposition qui vouent à la personne de Vladimir Poutine une forme de culte qui se confond souvent avec une admiration pour son régime autocratique.

Depuis le début de cette guerre et la mobilisation internationale destinée à empêcher la Russie de la gagner, une fracture française s’est révélée entre ceux qui voient le maître de Moscou comme une menace existentielle pour la paix et la sécurité en Europe et ceux qui, au contraire, le perçoivent comme un allié. Ce débat aurait pu conserver le style feutré des grandes divergences idéologiques muettes s’il n’y avait ce contexte électoral européen où l’extrême droite est promise à des avancées inédites.

Pour la stopper dans son élan, la stratégie présidentielle consiste à dévoiler les accointances idéologiques de cette extrême droite, ainsi que de l’extrême gauche, avec la machine de guerre russe. L’objectif est de dessiller le regard de tous ceux qui s’apprêtaient à se jeter aveuglément dans les bras du duo Le Pen-Bardella ou à croire aveuglément aux discours lénifiants de La France insoumise.

Il est vrai que, dans un premier temps, l’idée de Macron de déployer des militaires sur le sol ukrainien a été copieusement moquée. Elle rappelle cette autre proposition, en Israël, improvisée sous le coup de l’émotion en présence de Benjamin Netanyahou: former une coalition militaire internationale pour lutter contre le Hamas palestinien. Si Emmanuel Macron a oublié cette seconde proposition, il s’accroche à la première en justifiant ses choix avec une tonalité dramatique, évoquant le danger qui consiste à rester les bras croisés et à s’imposer des lignes rouges face à un adversaire, Vladimir Poutine, qui n’en a pas.

Le recours d’Emmanuel Macron à la carte ukrainienne ne lui permet pas seulement de transmettre des messages de détermination au leadership russe. Cela lui donne l’occasion d’apparaître sur le plan international comme un homme volontariste qui aspire à sonner l’alarme et à secouer l’eau stagnante. Constater que ses propositions ont été couvertes et discutées sur un plan global n’est certainement pas pour déplaire au président Macron. Aucun média qui compte sur la planète n’est passé à côté de ses déclarations. Le président français a fait la une de nombreux mastodontes de l’information. Ce n’était sans doute pas le but, mais le locataire de l’Élysée ne pouvait bouder son plaisir de voir que ses propos, même critiqués, même irréalistes dans l’immédiat, ont placé la France au centre de la conversation internationale.

Par ailleurs, le fait de proposer un débat parlementaire, avec vote, sur l’Ukraine n’est pas dénué de stratégie politicienne domestique. Lorsque Macron avait dévoilé ses propositions militaires sur l’Ukraine, l’une des plus violentes critiques lui est venue des rangs de l’extrême droite, incarnée par Marine Le Pen, et de l’extrême gauche, menée par La France insoumise, que dirige Jean-Luc Mélenchon. Or, ces deux icônes de la politique française ont un élément commun dans leurs visions politiques: une admiration à peine dissimulée pour le régime de Vladimir Poutine, qui se double d’une opposition assumée et critique de l’effort de guerre de l’Union européenne à l’égard de l’Ukraine.

En programmant un débat parlementaire sur cette question cruciale, Emmanuel Macron pousse volontairement ses adversaires politiques, La France insoumise et le Rassemblement national, à sortir de leurs ambiguïtés et à livrer devant le public leurs sympathies à l’égard du régime de Poutine. Dans le contexte politique électoral actuel, ce n’est pas une mince affaire, puisque leurs adversaires, notamment ceux de Renaissance, le parti du président, peuvent utiliser la théorie de la cinquième colonne russe en France pour les clouer au pilori.

Ce débat parlementaire ne constitue en rien une séquence tranquille pour les forces politiques accusées d’être des alliées objectives de l’aventure militaire russe en Ukraine. Ces dernières n’ont d’autre choix que de clarifier leurs positions à l’égard de cette guerre: prendre de la distance à l’égard de Moscou et courir le risque de perdre cette alliance objective qu’elles ont réussi à tisser avec le leadership russe ou afficher de manière ostentatoire leurs sympathies russes et courir le risque d’être en décalage complet par rapport à la perception générale de cette guerre.

En actionnant la carte ukrainienne, Emmanuel Macron tente d’atteindre deux objectifs: redonner à la parole de la France une visibilité ainsi qu’une audience internationale et mettre dans l’embarras ses opposants politiques et leurs mystérieuses liaisons avec Moscou.

 

Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine. X: @tossamus

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Français
Partager sur :