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Privée de président, l’Algérie est en roue libre

Atteint du Covid-19, Abdelmadjid Tebboune est hospitalisé en Allemagne depuis le 28 octobre. Une absence qui replonge le pays dans l’opacité des années Bouteflika.

(AFP) - «Mes frères je suis chagriné, Abdelmadjid Tebboune me manque», entonne, avec une voix robotique et des arrangements stridents, le chanteur de raï Cheb Bello dont la chanson enflamme les réseaux sociaux depuis mi-novembre. L’absence du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, hospitalisé en Allemagne depuis le 28 octobre, inspire même les raïmen, portés d’habitude sur les chansons d’amour ou les belles voitures.

Tout commence le 24 octobre quand le chef de l’État, 75 ans, annonce dans un message qu’il s’est mis «volontairement» à l’isolement pour cinq jours, suite à la contamination de plusieurs hauts responsables à la présidence de la République et au gouvernement. L’inquiétude gagne l’opinion publique, d’autant qu’un Conseil des ministres a été annulé quelques jours plus tôt et que la rumeur parle de la contamination du président, malgré les dépistages hebdomadaires imposés à tout son entourage.

Abdelmadjid Tebboune est hospitalisé le 27 octobre à l’hôpital militaire d’Alger, mais «son état de santé est stable et n’inspire aucune inquiétude», précise le communiqué officiel. Le lendemain, le 28 octobre, à quatre jours du référendum sur la révision de la Constitution, projet phare du président, il est transféré en Allemagne «pour des examens médicaux approfondis sur recommandation du staff médical», selon la présidence. Selon nos sources, le protocole de soins à l’hôpital militaire «était inadapté» à l’état de santé du président, réputé gros fumeur.

Trois messages du Golfe

Les autorités ne précisent pas la nature de la maladie du président. Mais trois messages venus des pays du Golfe, le 30 octobre, vendent la mèche. Le roi Salmane d’Arabie saoudite et le prince héritier Mohammed ben Salmane ainsi que le président des Émirats arabes unis, Khalifa ben Zayed Al Nahyane, envoient des missives pour s’enquérir de la santé du président algérien «atteint du Covid-19».

Au siège de la présidence à Alger, silence radio. On refuse même de dévoiler le nom de la ville (Berlin? Cologne?) et de l’hôpital où se trouve le chef de l’État. L’annonce de sa contamination au Covid-19 n’est officiellement annoncée que le 3 novembre. Entre-temps, le référendum sur la révision constitutionnelle voulue par M. Tebboune, le 1er novembre, enregistre un taux de participation historiquement bas de 23,7 %.

Une partie de l’opposition et des activistes du Hirak (le mouvement de contestation populaire qui a fait tomber Abdelaziz Bouteflika en 2019) considère que c’est un désaveu pour le pouvoir et une victoire pour les opposants au système. Une semaine plus tard, un message écrit du président s’adresse au «peuple algérien qui attend son retour au pays», affirmant «que son état de santé s’améliore». Même ton rassurant le 15 novembre, dans un nouveau communiqué officiel: «Le président Tebboune a achevé le protocole de soins prescrits et subit actuellement des examens médicaux postprotocole.»

Depuis, plus de nouvelles, sinon indirectement, comme lorsque l’agence officielle algérienne surinterprète le message de la chancelière Angela Merkel qui souhaite au président ses «meilleurs vœux de force et de courage […] pour la suite de votre convalescence». L’Algérie Presse Service titre: «Merkel se réjouit que le président Tebboune se soit remis de son infection au coronavirus»!

«Nous n’allons pas répondre à toutes les rumeurs sur les réseaux sociaux», commente une source officielle interrogée sur la parcimonie de la communication présidentielle. «La date de son retour se rapproche, tout va mieux», poursuit cette source officielle qui a requis l’anonymat.

«Son absence prolongée et la communication bricolée autour rappellent le souvenir d’un Bouteflika malade et instaurent surtout l’implacable décor d’une vacance de pouvoir que Tebboune disait ne plus vouloir tolérer au nom du respect des institutions», affirme Noureddine Azzouz, directeur de publication du quotidien «Reporters».

Malgré l’élection contestée d’Abdelmadjid Tebboune le 12 décembre 2019, son arrivée au pouvoir avait suscité un espoir de changement. Aujourd’hui, les Algériens sont inquiets. «Pendant deux ans, on a vécu avec un cadre et un portrait de Bouteflika» (ndlr: exhibés lors des manifestations officielles pour remplacer le chef de l’État malade), explique une trentenaire à Alger. «On ne veut pas que ça recommence!»

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