Inscrit depuis mercredi au patrimoine mondial de l’humanité, le plat, l’un des préférés des Français, est le reflet d’une culture.
C’est une graine magique issue de céréales, roulée, passée à la vapeur, séchée puis réhydratée avant d’être dégustée de mille manières, avec un bouillon, des légumes, de la viande ou du poisson. Ou juste végétarien. Ou encore sucré avec des fruits secs et du lait caillé. Peu importe, le couscous suit les saisons et les géographies. Il varie en fonction du budget bien sûr, et de l’occasion pour laquelle il a été cuisiné. « Un mets ancestral qui a traversé l’espace et le temps. On peut faire communier autour d’une même graine musulmans, juifs et chrétiens, riches et pauvres, viandards et végétariens », résume Fatema Hal, ethnologue et cheffe cuisinière.
Un plat berbère né dans l’Antiquité
Le terme « couscous » désigne à la fois l’ingrédient – la semoule – et le plat. On ne sait pas trop d’où il vient, peut-être une onomatopée qui évoque le son (ksskss) que font les bracelets des femmes quand elles roulent la graine. On en retrouve les traces les plus anciennes en Afrique du Nord, alors grenier à blé de Rome. Il suivra les routes du commerce et des conquêtes, de l’Andalousie aux confins du Sahara.
Né dans l’Antiquité, ce plat berbère trône aujourd’hui sur les tables du monde entier. Celle du paysan marocain ou sénégalais, du pêcheur de Tunisie ou de Sicile, à Alger, Paris ou Mont-réal, et même à Shanghai. Dans l’attente du label Unesco « patrimoine immatériel de l’humanité », le couscous figure, avec constance, dans le trio de tête des plats préférés des Français, qui en consomment 80 000 tonnes par an !
Règle d’or, le bon couscous, dit-on, est celui que l’on ne mange pas seul. Kheira Benguernane, bénévole dans l’économie sociale et solidaire, en sait quelque chose. « C’est le mets de la convivialité. On se mettait autour d’un grand plat pour le déguster, raconte-t-elle. On ne peut pas dire qu’on le fait pour quatre ou pour huit, sûr qu’il y en aura au moins pour douze ! Ce plat ne se cuisine pas en petites quantités. »
Le pilier de la vie au Maghreb
Originaire d’Algérie, Kheira est arrivée en France à l’âge de 20 ans. Aujourd’hui retraitée, elle s’occupe de l’épicerie solidaire de l’association Vrac à Saint-Fons, près de Lyon. Vrac (Vers un réseau d’achat en commun) permet de distribuer, dans les quartiers populaires, des produits bio et en circuits courts. Au centre social de la ville, il lui arrive de faire le couscous pour les ateliers cuisine ou pour des événements. « Tous les continents sont représentés. Chacun apporte son savoir. Mais quand c’est le jour du couscous, c’est la fête ! »
Festif, certes, mais pas que. « Le couscous n’est pas un plat anodin, il est le pilier de la vie au Maghreb. On le sert à la naissance, au mariage, pour le deuil. C’est aussi un plat du partage », souligne la spécialiste Fatema Hal. On l’appelle aussi « taâm », qui veut dire nourriture, parce qu’il est un plat complet. « Un plat très riche, il n’a pas besoin d’entrée… ni de sortie », lance Kheira Benguernane.
Il n’existe pas une recette unique du couscous. Il y en a des centaines et chacun est convaincu d’avoir la meilleure. Nadia Hamam en a même fait un ouvrage entier « les Mondes du couscous. 100 recettes nouvelles et anciennes du Maghreb et d’ailleurs transmises de mère en fille » (Encre d’Orient, 2010). Kheira Benguernane confirme. Elle aussi a transmis à sa fille et à sa petite-fille ce qu’elle avait appris de son aïeule. « J’ai vu mon arrière-grand-mère préparer la graine à la maison. C’est tout un rituel. On montait sur les terrasses étendre la graine cuite sur des grands draps pour la faire sécher et ensuite la stocker pour une saison entière, voire pour l’année. »
Préparer un couscous est une affaire sérieuse. Pas de place à l’improvisation. Depuis la préparation de la graine jusqu’à sa cuisson. Dans la tradition, c’est une affaire de femmes. Elles se regroupent chez l’une d’entre elles durant plusieurs jours pour transformer la semoule de blé dur, et parfois d’orge, en graine de couscous. Ces moments leur appartiennent. « Toute la chaîne de “fabrication” artisanale que les femmes ont inventée il y a plusieurs siècles est fabuleuse, explique Fatema Hal. Ce sont des gestes ancestraux, dont l’héritage est quasi sacré dans la transmission. »
Le « coscosson » de Rabelais
En France, le couscous serait apparu avant que les pieds-noirs ne le rapportent des colonies. Rabelais mentionne le « coscosson » ou le « coscoton à la moresque » dans son « Gargantua » écrit lorsqu'il habitait Metz. Plus tard, l’Exposition universelle de 1889 à Paris accueille des vendeurs de couscous sur l’esplanade des Invalides, rapporte l’historien Patrick Rambourg. En 1897, déjà, Jean-Baptiste Reboul intègre une recette de couscous dans sa célèbre « Cuisinière provençale » et, en 1900, l’ouvrage « l’Art du bien manger » recommandait le couscous de chez Hédiard, place de la Madeleine. Les puristes diront que le « couscous royal », avec les merguez, est une « invention hexagonale ». Une invention bien populaire aujourd’hui. Il existe même un festival Kouss-Kouss à Marseille.
Aujourd’hui, la graine industrielle a détrôné celle roulée par les mains des femmes. Depuis la fin du XIXe siècle, lorsque les marques italiennes Ricci et Ferrero créaient, en Algérie, leurs premières machines. Selon l’Observatoire de la complexité économique (OCE), c’est désormais la France qui est le premier importateur mondial de graines de couscous et deuxième exportateur, après l’Italie.