Cet article est un point de vue de Salem Chaker, professeur émérite de langue berbère, reçu pour publication.
L'arrestation et l'incarcération de l’écrivain Boualem Sansal ont suscité une réelle émotion dans les milieux littéraires et intellectuels francophones, particulièrement en France. Émotion légitime dans la mesure où cette arrestation n’est fondée que sur les déclarations et prises de positions, anciennes et récentes, de l’écrivain. Il s’agit donc clairement d’un délit d’opinion et d’une atteinte à la liberté d’expression et de pensée.
UNE CHAPE DE SILENCE ET DE TERREUR S’EST ABATTUE SUR L’ALGÉRIE
Mais le cas de Boualem Sansal n’est pas isolé en Algérie. L’arbre, même exceptionnel, ne doit pas cacher la forêt. Des centaines de personnes croupissent dans les prisons algériennes pour avoir exprimé une opinion « dissidente » ou pour leurs options politiques. Des dizaines de journalistes sont passées par la case prison au cours de ces dernières années, la presse a été totalement muselée, des dizaines de militants démocrates ont été emprisonnées et des centaines de militants kabyles ont été condamnées lourdement, parfois à la peine capitale, à la suite de procès expéditifs.
Des dizaines de militants mozabites ont été envoyées en prison où l’un d’entre eux est mort. De très nombreuses personnes ont été inquiétées ou incarcérées pour un simple post sur les réseaux sociaux ou une inoffensive activité culturelle. Une situation de répression tous azimuts donc. Une véritable chape de silence et de terreur s’est abattue sur l’Algérie ces dernières années avec l’article 87-bis du Code pénal qui permet de condamner pour terrorisme toute opinion hostile au régime.
Ce « tout répressif » qui s’est accentué depuis 2021 révèle en premier lieu la très grande fragilité d’un système politique qui a perdu toute légitimité et qui a perçu, en particulier à l’occasion du mouvement de contestation de 2019 (Hirak), qu’il pouvait être balayé s’il tolérait la moindre ouverture démocratique. Mais cette accentuation récente du caractère répressif du régime a des racines profondes, structurelles même.
L'ALGÉRIE INDÉPENDANTE N’A JAMAIS ÉTÉ NI DÉMOCRATIQUE NI PROGRESSISTE
Depuis l’indépendance (1962), l’Algérie est une dictature pilotée, en sous-main ou de manière ouverte, par une oligarchie militaire qui s’est longtemps appuyée sur une phraséologie révolutionnaire issue de la guerre de libération, mais dont l’instrument essentiel a toujours été des services de sécurité omniprésents et omnipotents. N’en déplaise aux admirateurs nationaux et internationaux de la « révolution algérienne », l’Algérie indépendante n’a jamais été ni démocratique ni progressiste. À côté des outils sécuritaires, les principaux ressorts du régime ont toujours été le contrôle absolu du système judiciaire, le contrôle de l’information et surtout la mobilisation de deux références idéologiques fondamentales : le nationalisme et la religion.
Nationalisme exacerbé dont la fonction principale est d’empêcher l’émergence de toute pensée ou débat autonome en mobilisant systématiquement deux épouvantails classiques de toute dictature. L’ennemi extérieur, dans le cas d’espèce le Maroc, la France et le néocolonialisme… Un ennemi intérieur accusé de remettre en cause l’unité nationale et l’intégrité territoriale, en l’espèce la Kabylie, toujours soupçonnée de velléités séparatistes. C’est dans ce cadre que doit se comprendre la répression subie par les militants kabyles ainsi que l’arrestation de Boualem Sansal dont les interrogations sur l’historicité des frontières de l’Algérie ont été considérées comme subversives.
« L’ALGÉRIE PROGRESSISTE » EST UNE FICTION
La religion musulmane est devenue le principal outil de contrôle social. En Algérie, l’islamisme ne tombe pas du ciel. Il est le résultat programmé d’une politique d’État. Une conception intolérante et uniformisante de l’islam est méthodiquement diffusée par tous les appareils idéologiques principalement l’Éducation nationale. Les islamistes armés qui prétendaient prendre le pouvoir dans la décennie 1990 ont été vaincus mais leur idéologie est victorieuse dans l’Algérie contemporaine par la volonté même de l’État qui les a combattus.