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Covid-19 : La détresse des Algériens établis à l'étranger

La détresse des Algériens établis à l'étranger

Depuis le 1er juin, les frontières aériennes de l’Algérie ont officiellement rouvert, mais dans les faits très peu de vols sont disponibles, et des conditions très restrictives empêchent toujours la diaspora algérienne de retourner sur le territoire. Une situation très pesante, d’autant plus pour ceux qui ont perdu des proches depuis le début de la crise sanitaire.  

(Courrier International) - C’est leur pays, mais pourtant il leur est inaccessible. Les Algériens établis à l’étranger expriment, depuis fin mai, leur colère : “Nous sommes les apatrides de la pandémie. Nous avons un pays, mais il nous est interdit”, déplore Adlene, qui a perdu ses deux parents mais qui n’a pu retourner en Algérie pour assister à leurs funérailles. Après plus d’un an de fermeture liée au Covid-19, le gouvernement algérien a finalement annoncé fin mai la réouverture des frontières aériennes du pays.

Si l’annonce a d’abord réjoui la diaspora algérienne, celle-ci a vite déchanté en apprenant les modalités d’entrée au pays. Pour pouvoir embarquer, les Algériens qui se trouvent à l’étranger devront effectuer deux tests PCR, l’un de moins de trente-six heures avant le vol, et l’autre cinq jours après leur arrivée. Mais surtout, ils devront se confiner entre cinq et dix jours dans un hôtel choisi par le gouvernement, à leurs frais, et en payant d’avance dix jours d’hôtel au moment de l’achat de leur billet d’avion. Peu importe la durée du confinement, le tarif maximum sera appliqué, sans garantie de remboursement.

Prix très élevés, vols trop rares

Même pour ceux qui seraient capables financièrement d’assumer ce pack sanitaire – dont le coût est estimé à environ 720 euros par personne depuis Paris –, il est dans les faits quasiment impossible de se procurer un billet d’avion : seuls cinq vols à destination de l’Algérie ont été mis en place par le gouvernement, dont un de Paris. Et pour l’heure le gouvernement algérien n’ouvre son espace aérien qu’à la compagnie nationale, Air Algérie. Les quelque 7 millions d’Algériens établis à l’étranger trépignent de revoir leurs proches, mais en France les agences de la compagnie algérienne se sont retrouvées complètement submergées par les demandes, à tel point qu’elles ont été contraintes de fermer leurs portes le 31 mai.

“C’est une trahison. On a tous ce sentiment d’avoir été trahis”, rapporte la réalisatrice algérienne Sofia Djama, autrice du film Les Bienheureux. “Le gouvernement s’est immiscé dans la plus stricte intimité des Algériens. Tout ce qu’il nous restait, c’étaient nos familles, notre lien avec notre pays.” Un mois avant la pandémie, cette dernière a souhaité lancé sa société de production en Algérie : “Je ne sais pas ce qu’il en est de ma structure aujourd’hui. Et je n’ai plus envie de construire quoi que ce soit. Ils ont brisé ce lien précieux de désir, de rêve, de construction avec le pays”, fait-elle savoir, demandant à l’État algérien de s’excuser officiellement pour reconnaître “la douleur” de la diaspora.

En Algérie, près de 130 000 personnes ont contracté le Covid-19, 3 500 en sont mortes, selon les chiffres du gouvernement algérien. “Je comprends que la fermeture des frontières ait permis de limiter la pandémie, d’une certaine façon, et d’éviter la catastrophe”, concède Zoulikha. La jeune femme, installée en France depuis trois ans, attend toujours le remboursement d’un billet d’avion pour un vol qu’elle n’a pas pu prendre. “Mon premier réflexe en rentrant, ce sera de me confiner, poursuit-elle. C’est normal. Je ne veux pas contaminer ma famille. Ça ne me dérange pas d’aller à un hôtel cinq ou six jours. Tout ce que je demande c’est de payer à l’arrivée”, “Je ne veux pas me faire avoir”, dit-elle.

Mesures insuffisantes

Confronté à la colère des citoyens, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a ordonné lors de la réunion du Conseil des ministres de “dispenser les étudiants et les personnes âgées à faible revenu, parmi les Algériens de retour au pays, de payer les frais d’hébergement relatifs à l’isolement”. Il a également été décidé de “baisser les frais d’hébergement de 20 % pour les Algériens de retour au pays”, selon le communiqué. De 41 000 dinars (250 euros), le pack de confinement est donc passé à 33 000 dinars (184 euros).

Des mesures jugées “insuffisantes” par la diaspora, qui demande plus de vols, et l’ouverture des frontières maritimes. “Ça devait être simple, mais tout est compliqué”, déplore Zoulikha, qui n’a pas vu ses parents depuis deux ans. Afin de pouvoir les retrouver, elle envisage donc de les rejoindre à Hammamet, en Tunisie. “Pour peut-être envisager de se voir une petite semaine. C’est fou. Je ne comprends pas. C’est mon pays, c’est ma famille, c’est normal de ressentir du manque et de vouloir serrer les siens dans les bras”, souffle-t-elle, émue aux larmes.

Rentrer, quoi qu’il en coûte

La jeune femme n’est pas la seule à s’être rabattue sur des solutions de repli. Farid (nom d’emprunt), a perdu sa mère en avril. Il s’est rapproché de son ambassade pour tenter d’avoir une dérogation afin de traverser la Méditerranée, “en vain”. Désespéré, il quitte alors la France pour la Tunisie. “Je n’avais aucun plan, mais je devais me rapprocher un maximum de l’Algérie”, raconte-t-il. Avec l’aide de passeurs, il fait le chemin à pied depuis la ville tunisienne de Tabarka, jusqu’en Algérie.

“J’ai eu peur au début. Je ne pensais pas qu’on allait le faire à pied, en passant par la montagne. J’avais un sac et ma valise avec moi”, explique-t-il. Pour se recueillir sur la tombe de sa mère, il a dû parcourir au total 1 308 kilomètres. Un voyage qui a duré deux jours en tout, “au lieu de deux heures, dans un avion”.

C’est une situation incroyable. Devoir rentrer dans son propre pays, dans des conditions pareilles, alors qu’on traverse déjà un deuil”.

Si la plupart des Algériens de l’étranger subissent cette situation, tous le savent : plusieurs personnes arrivent à obtenir des passe-droits et à voyager sans encombres. “J’ai un ami à Charles-de-Gaulle, qui m’a raconté que les avions de chez Air France décollaient tous les jours, avec une quinzaine de personnes. Des étrangers… Et des privilégiés”, conclut Farid.

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