Alors que Nicolas Sarkozy s'égosille à la télévision française pour clamer son innocence, que ses copains courent les salles de rédaction pour mettre en cause la justice française, une journaliste franco-algérienne, Hassina Mechaï, renverse la problématique et ose poser la question : en France, la corruption des hommes politiques est-elle plus répréhensible que la destruction d'un pays. Elle souligne le véritable enjeu de cette affaire, l'anéantissement d'un pays sur le coup de folie d'un homme, fut-il président de la République. Maglor reproduit ci-dessous l'article de Hassina Mechaï.
À l’issue de deux jours de garde à vue, voilà donc Nicolas Sarkozy mis en examen pour des chefs de corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de fonds publics libyens. C’est la première fois que l’ancien président est entendu dans l’enquête libyenne alors qu’une information judiciaire a été ouverte en avril 2013, notamment pour détournements de fonds publics et corruption active et passive. Cette information a été élargie en janvier à des soupçons de « financement illégal de campagne électorale ».
Cette mise en examen n’a donc pas été décidée par la justice française sur la base de la destruction d’un pays. Pas non plus pour l’avoir plongé dans des guerres civiles interminables. Pas pour avoir permis, a minima, la mort en direct de Kadhafi. Pas pour avoir déstabilisé durablement toute l’arrière-cour africaine de la Libye, permettant l’essaimage d’armes et de djihadistes.
Non. Nicolas Sarkozy a été interrogé dans les locaux de l’office anticorruption à Nanterre. Pour une affaire de possible financement de sa campagne présidentielle victorieuse de 2007 par la Libye de Mouammar Kadhafi. Une affaire de gros sous donc, de délinquance à col blanc et à « écharpe tricolore ». Pourquoi pas ! Après tout, mutatis mutandis, Al Capone est tombé non pas pour ses activités criminelles mais pour de simples questions fiscales.
Le délinquant politique, une « racaille » pas comme les autres
Dans le petit monde politique français, cette garde à vue a vite abouti à des cris effrayés d’orfraies du côté Les Républicains (LR), la famille politique de Nicolas Sarkozy.
Ces réactions diverses s’articulent sur deux axes, la mise en cause de l’impartialité de la justice et le respect de la présomption d’innocence. Le communiqué du parti a été un modèle du genre : « Les Républicains ont une nouvelle fois le sentiment que tous les élus ou anciens élus ne subissent pas le même traitement, selon qu’ils appartiennent à telle ou telle famille politique. ». « Pan » sur le bec de la justice ! Ou plutôt sur le bandeau aveuglant qu’elle est censée porter, garantissant son impartialité. Pour LR, la justice louche un peu trop du côté des LR. Christian Jacob, président du groupe LR à l’Assemblée, parle d’un « acharnement incompréhensible ».
Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre et membre des Républicains, a décidé quant à lui « de ne pas avoir de doute », tout en précisant que ce qu’il trouve « de plus inquiétant ici c’est que, dans les affaires politiques, notre justice ne semble pas sereine. [...] Dans les affaires politiques, la justice apparaît nerveuse, et ça ce n’est pas bon pour la République. La justice ne gagne rien à être spectaculaire ».
Il est d’ailleurs piquant de constater que la droite française, qui a toujours fait des « prétendus » laxisme et lenteur de la justice un de ses fondements électoraux, puisse désormais se plaindre de sa diligence et sévérité.
L’entre-soi social qui transparaît dans ces réactions est si « naturel » qu’il ne peut qu’interroger. Car ce qu’on y lit en filigrane, c’est que le « délinquant », c’est l’autre, pas soi. C’est le fraudeur aux aides sociales, plutôt que le fraudeur fiscal ; c’est le « garçon à casquette » des quartiers populaires, la fameuse « racaille » dont l’ancien président voulait « débarrasser » la France, plutôt que l’homme politique bon teint et bonne conscience.
Pourtant, cette affaire n’est pas la seule dans laquelle l’ancien chef d’État est cité ou mis en cause. Dix enquêtes le concernent, dont certaines ont débouché sur des non-lieux et sept sont toujours en cours. Parmi elles, l’affaire des comptes de la campagne de 2012 où il a été mis en examen et celle de Karachi pour laquelle il a le statut de témoin assisté.
Selon une étude très intéressante de l’Observatoire des inégalités, la justice n’est pas si aveugle que cela effectivement. LR avait raison en partie. Mais là où le parti de Nicolas Sarkozy avait tort, c’est que c’est du côté des pauvres et des étrangers qu’elle lorgne un peu trop souvent.
Selon cette étude, alors que 11,3 % des prévenus qui ont un emploi sont condamnés à des peines d’emprisonnement ferme, c’est le cas de 27,6 % des sans-emploi. Près de 60 % des emprisonnements fermes sont prononcés contre des sans-emploi, alors qu’ils ne représentent qu’un dixième des actifs. De la même façon, 31 % des prévenus qui vivent avec moins de 300 euros mensuels subissent de la prison ferme contre 7,1 % de ceux qui ont un revenu de plus de 1 500 euros. Les étrangers, quant à eux, sont trois fois plus souvent orientés en comparution immédiate et 4,8 fois plus souvent placés en détention provisoire pour une même infraction que les personnes nées en France.
Pour les étrangers pauvres, doit-on déduire alors que c’est la double peine ? Rien de nouveau sous le soleil sociologique qui a très vite pointé le fait que les infractions commises par les classes sociales supérieures ne rencontrent pas la même cécité impartiale du côté de la justice. Cela grâce notamment à des mécanismes de non-judiciarisation, ou de contre-judiciarisation, telle la possibilité de se payer un dispendieux avocat pénaliste qui maîtrisera parfaitement les arcanes du code de procédure pénale. De quoi faire durer une procédure au lieu de la justice expéditive, voire d’abatage, que ceux qui n’ont pas les moyens subissent.
Les chefs d’État occidentaux, responsables mais pas coupables
Nicolas Sarkozy est donc rattrapé par la guerre contre la Libye mais de façon indirecte, incidente, presque accidentelle. Encore une fois, pas pour avoir fait détruire un pays et durablement déstabilisé une sous-région africaine.
Plus largement, même s’il y a mise en examen, l’impunité dont semblent jouir les chefs d’État occidentaux aux velléités guerrières interroge. L’acte le plus fort qu’a eu à subir un président qui avait fait bombarder et détruit un pays fut un lancer de chaussures qui manqua son but : George W. Bush, pour le revival de la guerre contre l’Irak en 2003.
Pourtant, selon un rapport réalisé par la commission parlementaire britannique des affaires étrangères, l’intervention occidentale en Libye était fondée sur des « postulats erronés ». Présentée comme une « opération » destinée à protéger les civils, cette action franco-britannique est devenue une « politique opportuniste de changement de régime ». « La politique britannique en Libye avant et depuis l’intervention de mars 2011 a été basée sur des suppositions erronées et une compréhension incomplète du pays et de la situation », détaille le rapport.
Que s’est-il ensuivi pour David Cameron, alors Premier ministre ? Rien. Ou plutôt si, une démission à la suite du référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne. Une affaire interne là aussi.
Pourtant il existe bel et bien une justice pénale internationale qui pourrait juger la responsabilité d’hommes politiques. Cela s’appelle la CPI et la France est signataire du traité de Rome l’instituant. Mais cette CPI a vu son rôle contesté.
D’abord par les « perdants de l’Histoire », responsables serbes durant la guerre de Yougoslavie en premier lieu. Mais également par les chefs d’État africains qui ne se lassent pas de s’étonner que l’Afrique fasse l’objet de l’attention si assidue de l’institution pénale. Et que le temps soit comme suspendu pour les États-Unis quant à leur implication en Afghanistan ou en Irak ; pour Israël pour l’ensemble de ses œuvres en Cisjordanie et à Gaza. Pour la France et la Grande-Bretagne en Libye.
Certains pays pourraient en avoir assez de servir de terrain de jeu guerrier à un Occident saisi par l’hubris guerrier. La guerre en Syrie, par exemple, aurait-elle été différente sans ce précédent libyen ? Car l’implication de la Russie et de l’Iran dans ce conflit pourrait se lire, aussi, comme le retour de bâton contre un Occident qui a, de façon si désinvolte ou cynique, manquer à sa parole en Libye.
Hassina Mechaï
Hassina Mechaï est une journaliste franco-algérienne basée à Paris. Diplômée en droit et relations internationales, elle est spécialisée dans l'Afrique et le Moyen-Orient. Ses sujets de réflexion sont la gouvernance mondiale, la société civile et l'opinion publique, le soft power médiatique et culturel. Elle est co-auteure, avec Sihem Zine, de L'État d'urgence (permanent),Éditions Meltingbook (sortie mars 2017).