La politique saoudienne a fait irruption dans une série télévisée égyptienne avant sa diffusion au Moyen-Orient pendant le ramadan, en obtenant de la production le remplacement d’un acteur jugé controversé.
(AFP) - La série Ard el-nefaq (La terre de l’hypocrisie), sous la pression du groupe audiovisuel public saoudien Saudi Broadcasting Corporation (SBC), a été contrainte d’éliminer de plusieurs scènes un personnage joué par le célèbre présentateur égyptien Ibrahim Eissa. Critique notoire de l’islam politique dans ses émissions, M. Eissa avait accusé l’Arabie saoudite d’utiliser l’argent du pétrole pour favoriser les idées extrémistes et terroristes.
Résultat : des scènes ont été coupées et refaites sans Ibrahim Eissa « avec l’accord du producteur », a dit le directeur de SBC Dawood Shirian. Présent dans la bande annonce initiale, M. Eissa n’est plus visible dans la dernière version. Selon la presse égyptienne, qui cite le producteur, Gamel el-Adl, il y a deux versions de la série. Le producteur n’a pas répondu aux sollicitations de l’AFP. Son groupe el-Adl avait annoncé sur sa page Facebook que Ard el-nefaq serait diffusé sur une dizaine de chaînes arabes et de sites internet à l’occasion du ramadan qui vient de commencer.
La série est basée sur un célèbre roman de l’Égyptien Youssef el-Sebaï, déjà adapté au cinéma. Il suit les aventures de Massoud, un homme servile, malmené par son patron et sa femme, qui finit par gravir les échelons en consommant des « pilules d’hypocrisie » achetées chez un « vendeur de morale ». Les séries TV égyptiennes sont l’équivalent des « telenovelas », et leur diffusion domine toute la région, en particulier pendant le ramadan. Seules les productions des Émirats arabes unis peuvent rivaliser, mais dans les pays du Golfe uniquement, selon Ibrahim Hamouda, PDG de Square Media Production. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, l’Égypte reste très compétitive, surtout depuis que les séries syriennes, un temps concurrentes, ont disparu du paysage audiovisuel de la région après le début de la guerre civile en 2011.
« Pas seulement les Égyptiens... »
L’incident avec SBC a été rendu public le 2 mai lorsque Saoud al-Qahtani, un conseiller royal saoudien influent, a critiqué dans un tweet le fait de « donner des programmes aux personnalités des médias arabes qui ont insulté nos dirigeants et notre pays ». Cet incident rappelle l’importance de ces productions, regardées par des millions de téléspectateurs au Moyen-Orient. « Pendant le ramadan, une série (égyptienne) peut être diffusée sur cinq à dix chaînes arabes, donc il est très important que le contenu soit attrayant pour les téléspectateurs arabes, pas seulement les Égyptiens », explique M. Hamouda. « Le téléspectateur arabe a grandi en regardant des séries égyptiennes », ajoute-t-il. En mars, la chaîne privé saoudienne MBC avait annoncé le boycott de séries, turques cette fois, en raison des tensions politiques entre Ankara et les États du Golfe.
L’Arabie saoudite, grande alliée des États-Unis dans la région et rivale régionale de l’Iran, ne dispose pas d’une industrie de production cinématographique et télévisuelle comparable à celle de l’Égypte. Si le surcoût lié à la confection d’une nouvelle version d’Ard el-nefaq n’a pas été communiqué par la production, les coûts de ce type de série sont généralement élevés, avec souvent de gros cachets pour les stars du genre, selon Ahmad Saad el-Din, critique d’art pour le journal étatique al-Ahram.
L’Égypte, pays le plus peuplé du monde arabe avec ses presque 100 millions d’habitants, est le plus gros marché. M. Saad el-Din estime que 25 à 30 séries seront diffusées pendant le ramadan sur les chaînes privées et publiques dans la région. « Il n’y a pas de série de 30 épisodes qui coûte moins de 25 millions de livres (1,2 million d’euros), et encore, ce sont des séries sans stars avec juste de nouveaux visages », explique Hosni Saleh, qui a réalisé plusieurs séries de ramadan. Leur coût peut s’élever à 70 millions de livres (3,3 millions d’euros) quand des acteurs connus y jouent, selon lui.