L'éruption de violences en France et ses conséquences ont ravivé le clivage droite-gauche, au risque de compliquer le "en même temps" d'Emmanuel Macron qui a choisi le camp de l'ordre, à ses yeux plus rassembleur.
(AFP) - Autant les groupes politiques, reçus lundi par Elisabeth Borne, que les maires, reçus mardi par Emmanuel Macron, ont décliné des propositions de court comme de long terme, très opposées, en réponse aux émeutes qui ont surgi dans les quartiers dits sensibles après la mort du jeune Nahel, tué le 27 juin par un policier.
"Certains sont pour l’autorité, à droite, d’autres pour la politique de la ville, à gauche", a résumé à sa sortie de l'Elysée Manuel Aeschlimann, maire LR d'Asnières-sur-Seine (Hauts-de- Seine).
Des divergences qui sont attisées par le contexte d'une "France archipélisée", note un cadre de la majorité, citant pêle-mêle "les gilets jaunes", "les antivax", "les antiretraites violents" ou encore les écologistes opposés à la mégabassine de Sainte-Soline.
"Chez moi les gens disent +c’est bien fait pour sa gueule+ (au jeune Nahel, ndlr). On a une nation qui ne fait plus nation", témoigne un député Horizons.
Ces tensions sont aussi nourries par un champ politique davantage polarisé, "avec un centre de gravité de la gauche plus à gauche qu'avant, l'apparition de la macronie et la montée de l'extrême droite", note le politologue Rémi Lefebvre. Ce qui conduit la macronie "à jouer la modération et diaboliser ses adversaires".
«Deux narrations»
Elisabeth Borne, en regain dans les sondages depuis la crise, a accusé mardi LFI "d'instrumentaliser" le drame de Nanterre, ce qui à ses yeux l'écarte du "champ républicain".
La Première ministre, qui doit visiter jeudi un quartier touché par les violences à Lisieux (Calvados), a aussi reproché à Marine Le Pen de faire le choix de la "division" en opposant les territoires ruraux, où le RN progresse, aux quartiers.
"En l'absence d’un vrai projet macroniste sur cette question des banlieues, la droite et la gauche ont repris leurs deux grandes narrations: la droite veut serrer la vis et des sanctions, quand la gauche dit que tout vient du fait que l'Etat n'agit pas assez dans les quartiers", explique le politologue Bruno Cautrès.
Il s'agit en outre d'un événement "à forte charge émotionnelle" qui favorise la "polarisation négative, qui fait qu'on a tendance à ne plus écouter le camp d'en face".
Pourtant le désenclavement et le refus de l'assignation à résidence étaient "des points cardinaux" du projet d'Emmanuel Macron. Le président subit de plein fouet "l'effet boomerang" du plan Borloo pour les banlieues qu'il n'a pas retenu en 2018, ajoute le politologue.
Mais face aux dégradations et aux violences qui sont allées jusqu'à l'attaque de la famille du maire de L'Haÿ-les-Roses, le chef de l'Etat avait-il d'autre choix que de rétablir l'ordre? "La crise a pris une telle dimension qu'il n'y avait plus de place pour la nuance" et qu'il est, de par sa fonction, "garant de cet ordre", relève M. Cautrès.
«Récit national»
En outre, le retour à l’ordre, "c'est assez partagé" par la droite et la gauche à court terme, rapportent les élus locaux.
Au sein du camp présidentiel, on se félicite que la majorité ait "tenu sur son socle du dépassement" même si on reconnait ne "pas avoir la réponse" pour "retrouver (un) récit national" capable d'unir le pays.
La sortie de crise sera d'autant plus "difficile à trouver", note le sociologue Olivier Galland sur le site Telos, que ce mouvement est "apolitique" voire "antipolitique", sans revendications ni interlocuteur.
En attendant, Emmanuel Macron a demandé à son gouvernement "de conduire (un) travail en profondeur" en vue de "décisions concrètes".
S'il assure que les "vieilles recettes" du tout-répressif ne suffiront pas à elles seules, l'exécutif a tout de même érigé "l'ordre" en "priorité absolue" et prévenu qu'il n'entendait pas dépenser davantage pour les banlieues. Suggérant que dans ce clivage qui renait, les réponses pencheront plutôt à droite.