Le choix des cibles et leur emplacement loin des zones contrôlées par Moscou montrent la volonté des Occidentaux d’épargner les forces russes et d’éviter tout contact ou toute confrontation sur le terrain avec la Russie. Une analyse du quotidien libanais francophone L'Orient-Le Jour, sous la plume d'Anatoine Ajoury.
La Troisième Guerre mondiale n’aura finalement pas (eu) lieu. Tous ceux qui misaient sur un embrasement régional ou sur un affrontement entre Américains et Russes ont été probablement déçus par les frappes menées samedi à l’aube par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni en Syrie pour punir le régime de Bachar el-Assad, accusé d’avoir mené des attaques chimiques la semaine dernière sur Douma, dans la Ghouta orientale près de Damas, alors encore aux mains des rebelles et reprise depuis par l’armée du régime.
Les raids menés par Washington et ses alliés ont visé au moins trois cibles près de la capitale syrienne et Homs. Selon le Pentagone, trois cibles principales ont été frappées : un centre de recherche scientifique dédié au développement et aux tests d’agents chimiques dans la banlieue de Damas, un dépôt d’armes chimiques à l’ouest de Homs et un poste de commandement dans la même zone. Les frappes ont visé « le principal centre de recherche » et « deux centres de production » du « programme clandestin chimique » du régime syrien, a annoncé de son côté la ministre française des Armées, Florence Parly. « C’est la capacité de développer, de mettre au point et de produire des armes chimiques qui est atteinte », a-t-elle précisé.
Selon le ministère russe de la défense, plus de 100 missiles avaient été tirés sur la Syrie, mais que plus de 70 d’entre eux auraient été interceptés par la défense aérienne syrienne. Damas avait auparavant affirmé avoir abattu treize missiles. La Russie n’a pas utilisé ses systèmes de défense antiaérienne en Syrie pour contrer les frappes occidentales, a précisé Moscou, qui a également indiqué qu’aucune frappe n’a eu lieu à proximité des bases russes.
Loin des tweets enflammés
Le choix des cibles et leur emplacement loin des zones contrôlées par Moscou montrent la volonté des Occidentaux d’épargner les forces russes et d’éviter tout contact ou toute confrontation sur le terrain avec la Russie. Le pari des trois alliés d'éviter une escalade militaire dangereuse aux conséquences imprévisibles avec Moscou est ainsi gagné.
Rappelons que l’ambassadeur de Russie au Liban, Alexandre Zassypkine, avait prévenu que tout missile américain qui viendrait à être tiré sur la Syrie serait abattu et que les sites d’où ils étaient partis seraient également frappés.
Les discours des puissances occidentales ont été aussi nuancés. Les trois pays ont insisté sur le fait que les frappes ont visé les capacités dans l’emploi et la production d’armes chimiques du régime syrien. L’opération militaire ne visait donc en aucun cas un changement de régime ou un affaiblissement de sa puissance sur le terrain. Une politique toujours dénoncée par Moscou depuis l’intervention occidentale en Libye.
Toutefois, en annonçant les frappes à Washington, le président américain Donald Trump a violemment critiqué la Russie, soutien indéfectible du régime syrien. M. Trump a appelé Moscou « à quitter la voie sinistre du soutien à Assad » et a accusé la Russie d’avoir « trahi ses promesses » sur l’élimination des armes chimiques.
On est néanmoins bien loin des tweets enflammés du début de la semaine où le président américain narguait les forces russes en Syrie. Et comme pour faire baisser la tension, le secrétaire américain à la Défense, James Mattis, a souligné qu’il s’agissait de « frappes ponctuelles », d’autres actions militaires n’étant pas prévues pour l’instant.
Après l’« insulte »
Les messages d’apaisement sont également venus de Paris. Mme Parly a précisé que les alliés ne cherchent pas « la confrontation » et que « nous refusons toute logique d’escalade militaire. C’est la raison pour laquelle avec nos alliés, nous avons veillé à ce que les Russes soient prévenus en amont ».
Le général américain Joseph Dunford, chef d’état-major interarmes, a cependant déclaré que les Russes n’avaient pas été informés à l’avance du choix des cibles. « Il y a simplement eu une communication pour obtenir la déconflixion de l’espace aérien, comme c’est la routine avant n’importe quelle opération en Syrie », a-t-il expliqué. Il a clairement évoqué sur les précautions prises pour éviter les victimes civiles et les « forces étrangères » présentes en Syrie, allusions directes à la présence de forces russes et iraniennes sur le terrain syrien, insistant ainsi sur les efforts accomplis pour éviter toute confrontation directe avec ces pays.
Mais si l’escalade militaire a été, pour l’instant, évitée, Moscou n’a pas baissé le ton. L’ambassadeur de Russie à Washington, Anatoli Antonov s'est insurgée contre les frappes occidentales, qui reviennent à « insulter le président russe ». « Nous avions averti que de telles actions appelleraient des conséquences », a écrit le diplomate dans un communiqué.
Le conflit devrait donc reprendre au niveau diplomatique. Ainsi, le président russe Vladimir Poutine a dénoncé « avec la plus grande fermeté » les frappes occidentales. Il a également annoncé que Moscou convoquait une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU pour évoquer « les actions agressives des États-Unis et de leurs alliés » en Syrie. Une convocation lancée d’ailleurs par la Syrie elle-même.
Et cette question qui demeure : le régime syrien a-t-il encore la capacité d’utiliser ses armes chimiques, le ferait-il, et, si oui, avec quelles conséquences ?
Voici les principales réactions aux frappes ciblées menées par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni contre la Syrie.
- Russie : "Un coup a été porté contre la capitale d'un Etat souverain qui a tenté pendant de nombreuses années de survivre au milieu d'une agression terroriste", a écrit sur Facebook la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova. Les frappes occidentales contre la Syrie interviennent "au moment où elle avait une chance d'avoir un avenir pacifique" (communiqué).
Les frappes reviennent à "insulter le président russe" Vladimir Poutine, a estimé l'ambassadeur de Russie à Washington, Anatoli Antonov. "Nous avions averti que de telles actions appelleraient des conséquences", a-t-il averti (communiqué).
- Syrie : L'"agression barbare et brutale" des Occidentaux "a pour principal objectif d'entraver le travail de l'équipe" de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) qui devait entamer samedi son enquête sur une attaque chimique présumée en territoire syrien (agence de presse officielle syrienne Sana).
- Iran : "Les Etats-Unis et leurs alliés, sans aucune preuve et avant même une prise de position de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) ont menée cette action militaire (...) contre la Syrie et sont responsables des conséquences régionales de cette action aventuriste", a déclaré le porte-parole du ministère iranien des Affaires, selon son canal Telegram.
- Turquie : Les frappes sont "une réaction appropriée" à l'attaque chimique présumée de Douma. "Nous saluons cette opération qui exprime la conscience de l'humanité tout entière face à l'attaque de Douma que tout porte à attribuer au régime" syrien, a déclaré le ministère turc des Affaires étrangères (communiqué).
- Israël : "L'an dernier, le président américain Donald Trump a fait savoir que l'utilisation d'armes chimiques reviendrait à violer une ligne rouge. Cette nuit sous la direction américaine, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne ont agi en conséquence. La Syrie continue ses actions meurtrières", a déclaré un responsable israélien sous le couvert de l'anonymat.
- Hezbollah : "La guerre menée par les Etats-Unis contre la Syrie, contre les peuples de la région et les mouvements de la résistance (...) n'atteindra pas ses objectifs", a affirmé le parti chiite libanais (communiqué).
- OTAN : "Je soutiens les actions prises par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France contre les installations et capacités d'armes chimiques du régime syrien", a affirmé le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg. "Elles vont réduire la capacité du régime à mener d'autres attaques contre le peuple de Syrie avec des armes chimiques", a-t-il ajouté (communiqué).
- ONU : "J'appelle les Etats membres à faire preuve de retenue dans ces dangereuses circonstances et à éviter toute action qui pourrait conduire à une escalade et à aggraver la souffrance du peuple syrien", a déclaré le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres. (communiqué).
- Canada : Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a soutenu "la décision des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France de prendre des mesures pour diminuer la capacité du régime (Ndlr: du président syrien Baschar al-Assad) de lancer des attaques par armes chimiques contre ses propres citoyens".