Si les voyants économiques sont au vert en Suède, les inégalités se creusent plus que dans tout autre pays de l'OCDE. Sans oublier l'immigration massive. Le pays de référence de la tolérance et des politiques sociales sera-t-elle conquise par l'extrême droite.
(AFP) - Sauf immense surprise, l'extrême droite devrait réaliser un score historique aux législatives du 9 septembre en Suède où elle prospère sur l'exaspération d'électeurs qui s'estiment menacés par l'arrivée de centaines de milliers de demandeurs d'asile.
A deux semaines du scrutin, les Démocrates de Suède (SD), parti anti-immigration, arriveraient en deuxième ou troisième position avec environ 20% des suffrages. Une influence nouvelle que ce surgeon de la nébuleuse néonazie en quête de respectabilité entend chèrement monnayer.
Les «Sverigedemokraterna» auront toutefois du mal à arracher des concessions programmatiques. Car malgré certaines tentations à droite, aucune coalition potentielle ne semble à ce stade disposée à mendier leurs voix tant ils font figure d'épouvantail auprès d'une majorité d'électeurs.
Le parti à l'anémone bleue avait fait son entrée en 2010 au parlement monocaméral en recueillant 5,7% des suffrages, puis plus que doublé son score en 2014 à 12,9%, raflant 42 sièges sur 349.
Il avait décroché une des trois vice-présidences du parlement, occupée par Björn Söder, un militant de la première heure qui déclarait en juin que les juifs suédois constituent une «minorité» n'appartenant pas à «la nation».
Créé en 1988, le parti dirigé depuis 2005 par Jimmie Åkesson séduit les jeunes et des déçus de la social-démocratie, habitants des campagnes désindustrialisées où ferment l'une après l'autre écoles et maternités.
Les sociaux-démocrates du Premier ministre Stefan Löfven resteraient le premier parti de Suède tout en enregistrant leur plus mauvais score depuis l'introduction de la proportionnelle en 1911. Ils sont crédités de 24 à 25% des intentions de vote, un recul de six à sept points en quatre ans.
Inégalités sociales
Si les voyants économiques sont au vert - le chômage à son plus bas niveau depuis dix ans, la croissance attendue autour de 3% cette année -, les inégalités se creusent plus que dans tout autre pays de l'OCDE.
«Il est impératif de prendre ces inégalités sociales émergentes à bras le corps pour maintenir la cohésion sociale et faire reculer l'extrémisme», a prévenu vendredi auprès de l'AFP l'ancien chef de gouvernement social-démocrate Göran Persson, aux affaires de 1996 à 2006.
Principale force politique depuis les années 1930, le Parti ouvrier social-démocrate paye aussi et surtout l'arrivée de 300'000 demandeurs d'asile depuis 2015 - la plus forte proportion d'Europe par habitant - qui ont fait passer la population du royaume nordique à plus de dix millions.
Au pic des arrivées à l'automne 2015, le gouvernement s'est retrouvé dépassé: migrants entassés dans des gymnases, services sociaux saturés, centres d'accueil pour réfugiés incendiés...
Trois ans plus tard, la situation s'est considérablement améliorée. Le chaos promis par les opposants à l'accueil des réfugiés n'a pas eu lieu, mais la Suède se trouve maintenant confrontée au défi de l'intégration.
Le gouvernement a depuis resserré les critères d'accueil et Stefan Löfven entend conduire s'il obtient un second mandat «une politique migratoire qui ait le soutien de la population».
Pour SD, sa politique migratoire a «divisé la société, nourri l'exclusion, asséché l'Etat-providence» et «porté atteinte à la sécurité» du pays qui en avril dernier a connu son premier attentat lorsqu'un demandeur d'asile ouzbek débouté a lancé un camion dans une rue piétonne de Stockholm, faisant cinq morts.
Cordon sanitaire fissuré
Le match pour le poste de Premier ministre devrait se disputer entre le sortant Löfven, un métallo parvenu aux plus hautes fonctions grâce à la méritocratie syndicale et partisane, et le dirigeant conservateur Ulf Kristersson dont le parti des Modérés est donné au coude-à-coude avec l'extrême droite.
Ce communicant a succédé en octobre 2017 à Anna Kinberg Batra, démissionnaire, à qui une frange des Modérés reprochait d'avoir rompu l'union sacrée contre SD en se déclarant favorable à des alliances «au cas par cas» avec les Démocrates de Suède.
Ulf Kristersson, de son côté, maintient jusqu'ici l'objectif d'une alternance avec les trois autres partis de droite et du centre, sans SD, y compris pour les municipales et les régionales qui se tiennent en même temps.
Une consigne restée lettre morte dans certaines circonscriptions où des édiles de droite se coalisent avec SD pour battre la gauche.
A Sölvesborg (sud), ville natale de Jimmie Akesson, chrétiens-démocrates et SD ont ouvert des négociations. La section locale des Modérés a laissé entendre qu'elle voulait en être.
Au niveau national, le bloc «rouge-vert» (sociaux-démocrates, parti de Gauche et écolos) devance l'Alliance de droite (conservateurs, libéraux, centristes et chrétiens-démocrates) dans les sondages.
Des manifestants néonazis hués à Stockholm
(AFP) - Le Mouvement de résistance nordique a voulu promouvoir sa doctrine raciste et antisémite, samedi. Des contre-manifestants ont aussi occupé le terrain. Environ 300 militants néonazis ont manifesté samedi à Stockholm sous les huées de contre-manifestants et de dirigeants politiques qui demandent l'interdiction de leur mouvement.
Encadrés par un service d'ordre équipé de boucliers en plexiglas, les militants du Mouvement de résistance nordique (NMR) se sont réunis en milieu de journée sur une place de la capitale, à deux pas du palais de justice. Aux abords de la place, des centaines d'opposants à la manifestation tenus à distance par un imposant dispositif de sécurité ont tenté de couvrir les discours des orateurs néonazis en scandant des slogans ou en tapant sur des barrières en fer.
Parmi eux, la ministre de la Culture Alice Bah Kuhnke, de père gambien et de mère suédoise, a expliqué vouloir «être là où les nazis sont». «Ma présence est une résistance», a dit la responsable écologiste venue avec Hédi Frid, une écrivaine et psychologue d'origine roumaine rescapée d'Auschwitz qui donne des conférences sur l'Holocauste dans les écoles du pays scandinave. La manifestation s'est dispersée en fin d'après-midi sans incident majeur, selon des journalistes de l'AFP sur place.
«Ma présence est une résistance»
Le Premier ministre social-démocrate Stefan Löfven s'est déclaré déterminé à «interdire les organisations nazies». «La démocratie a toujours le droit de se protéger contre des forces prêtes à recourir à la violence pour la détruire», a-t-il ajouté sur son compte Facebook.
Bien qu'ultraminoritaire, la nébuleuse néonazie se fait depuis quelques années plus bruyante dans l'espace public et les réseaux sociaux, tirant avantage d'une législation libérale en matière d'expression et de manifestation.
Fondé en 1997, le MNR est considéré par le magazine anti-racisme Expo comme l'organisation nazie la plus violente en Suède, dont de nombreux militants sont des délinquants de droit commun.
Le groupe promeut une doctrine ouvertement raciste et antisémite et ambitionne de remplacer les démocraties nordiques par un «Etat national-socialiste». Pour la première fois de son histoire, il va présenter une liste de 24 candidats aux législatives du 9 septembre, sans aucune chance d'obtenir au niveau national les 4% des suffrages nécessaires pour siéger au Riksdag.
L'un de ces candidats fait l'objet d'une enquête de police pour avoir déployé une banderole le 20 avril 2018, jour-anniversaire de la naissance d'Adolf Hitler, à la mémoire du dirigeant nazi.