Chose promise, chose due. Cinq mois après que le président Donald Trump en eut fait l’annonce, les États-Unis inaugureront lundi leur ambassade d’Israël à Jérusalem, ville au statut contesté. Si ce geste hautement symbolique suscite l’ire au Proche-Orient, laissant présager une escalade de la violence au cours de la semaine, il laisse la communauté internationale plutôt de marbre, constatent des experts.
(AFP) - Les Israéliens avaient le coeur à la fête dimanche. Des dizaines de milliers d’entre eux ont marché dans les rues de Jérusalem en brandissant le drapeau bleu et blanc marqué d’une étoile de David.
« Jérusalem est la capitale du peuple juif depuis 3000 ans, c’est la capitale de notre État depuis 70 ans et cela restera pour toujours notre capitale », a déclaré dimanche le premier ministre Benjamin Nétanyahou lors d’une réception devant Ivanka Trump et son mari, Jared Kushner, fille et gendre du président américain, arrivés dans la journée en vue de la cérémonie de lundi.
L’ambassade sera provisoirement installée dans les locaux de ce qui était le consulat américain, à la frontière de Jérusalem-Est, en attendant la construction du nouveau siège de la représentation américaine.
Sécurité renforcée
Les Palestiniens voient dans ce transfert la négation de leurs revendications, eux qui veulent faire de Jérusalem-Est la capitale de l’État auquel ils aspirent.
C’est pourquoi d’importantes manifestations palestiniennes sont anticipées. Rien que pour l’ouverture de l’ambassade, qui se fera en présence de 800 invités, la police a mobilisé 1000 agents pour sécuriser le secteur, où ont par ailleurs été installées des affiches proclamant « Trump Make Israel Great Again ».
L’armée israélienne a également annoncé qu’elle allait pratiquement doubler ses effectifs dans les territoires palestiniens en prévision de la contestation. Des affrontements violents sont notamment attendus dans la bande de Gaza, où 54 Palestiniens ont été tués par l’armée israélienne depuis le 30 mars, dans le cadre de la « marche du retour », qui voit des milliers de Palestiniens se rassembler le long de la frontière avec Israël. Il s’agit pour eux de revendiquer le droit de retourner sur les terres dont ils ont été chassés ou qu’ils ont fuies en 1948, et de dénoncer le blocus.
Les autorités israéliennes redoutent que, dès lundi, les Palestiniens cherchent à forcer la frontière.
« Les réactions dans les rues arabes vont être très fortes », anticipe le spécialiste du Proche-Orient Rachad Antonius. Selon lui, on peut s’attendre à une riposte d’autant plus explosive de la part de l’armée israélienne envers les manifestants. « On voit déjà quotidiennement des vidéos montrant la répression sanglante », souligne le professeur à l’UQAM.
« Un acte hostile »
La date choisie pour l’inauguration de l’ambassade coïncide avec le 70e anniversaire de la création de l’État d’Israël, que les Palestiniens souligneront mardi sous le nom de « Nakba », soit la « catastrophe » qu’a représentée pour eux la proclamation d’Israël.
Cette semaine marque également le 51e anniversaire de la prise de Jérusalem-Est par l’armée israélienne.
Ce transfert d’ambassade valide symboliquement la légitimité de l’occupation d’Israël en Cisjordanie, selon M. Antonius, qui décrit ce geste comme un pied de nez aux efforts de réconciliation dans la région. « C’est un acte hostile, un acte d’agression. »
En déménageant ses pénates de Tel-Aviv à Jérusalem, « la puissance la plus importante au monde appuie l’occupation israélienne et appuie la violation du droit international », poursuit-il.
La communauté internationale considère en effet Jérusalem-Est comme territoire occupé et soutient donc qu’aucune ambassade ne devrait se situer dans la ville. « Ça va totalement avec la logique du président Trump ; le droit international n’existe pas pour lui », commente l’expert.
Les condamnations se font pourtant discrètes, notamment de la part du Canada. « Le Canada ne peut pas empêcher les États-Unis de déménager leur ambassade, mais il pourrait les condamner et il ne le fait pas », soutient M. Antonius.
Le transfert suscite peu d’opposition au sein même du pays de Donald Trump. « Les démocrates peuvent reprocher à Trump d’avoir été imprudent et précipité, mais le geste en tant que tel ne leur pose pas problème », constate le chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM) Pierre Martin.
Il faut dire que les puissances occidentales marchent sur des oeufs lorsqu’il est question de critiquer Israël, un allié pour plusieurs d’entre elles. « Je m’attends à des condamnations très molles : personne ne va dire que c’est illégal et contre le droit international », abonde M. Antonius.
Rapport de force
Selon le professeur à l’UQAM, Israël est plus que jamais en position de force, après une semaine marquée par les coups infligés contre l’Iran en Syrie. « On le voit avec l’expansion des colonies et avec les raids contre l’Iran. Israël peut faire ce qu’elle veut et personne en Occident ne va lui dire qu’elle dépasse les limites. »
Au-delà des affrontements anticipés au cours des prochains jours, c’est une haine de plus en plus généralisée contre l’Occident de la part des pays arabes que craint de voir s’élever à long terme Rachad Antonius. « Petit à petit, les révoltes seront de plus en plus violentes », redoute-t-il.
Ne cachant pas son pessimisme, le professeur soutient que l’inauguration de l’ambassade américaine n’est qu’une « brique de plus à l’édifice qui contribue au chaos à venir », la situation s’étant déjà envenimée au cours des dernières années, notamment avec l’établissement de colonies en Cisjordanie, bien plus préoccupantes à ses yeux. « Au quotidien, ce sont des centaines de milliers d’hectares de terrains qui sont retirés aux familles palestiniennes. »
Malgré tout, l’entourage du président Trump estime qu’un accord de paix israélo-palestinien est possible après le transfert de l’ambassade. « Le processus de paix n’est certainement pas mort », a déclaré dimanche le secrétaire d’État, Mike Pompeo à la chaîne Fox.