L’ancien président doit enfin s’expliquer sur les soupçons de financement de sa campagne de 2007 par Muammar Kadhafi.
Depuis son échec à la primaire de la droite, dès le premier tour, il y a un an et demi, Nicolas Sarkozy savourait son nouveau rôle. Certes, il avait dû renoncer à un retour à l’Élysée. Mais Emmanuel Macron, à qui on le compare parfois, le traitait avec maints égards. Les cadres de la droite venaient le consulter comme un vieux sage. Les militants continuaient de l’aduler. Et les invitations aux conférences à l’étranger tombaient régulièrement. Une vie huilée comme une chaîne de bicyclette avant que la justice ne la fasse dérailler?
Mardi, l’ancien président a été placé en garde à vue à Nanterre, à l’ouest de Paris. Une audition qui peut durer quarante-huit heures. «À chaque fois qu’il a été placé en garde à vue, il en est ressorti sans rien», relativise une fidèle, la députée LR Valérie Boyer, à l’unisson d’une droite qui crie à l’acharnement. Mais cette fois? L’affaire qui le rattrape concerne un possible financement libyen de sa campagne présidentielle victorieuse de 2007. C’est tout simplement «la plus grave affaire d’État de ces dernières décennies», selon Edwy Plenel, le fondateur de Mediapart, qui l’avait révélée. Il est question de financement occulte sur fond de relations troubles avec un dictateur, Muammar Kadhafi…
Voilà cinq ans qu’une information judiciaire a été ouverte. Cinq ans que les investigations de Mediapart et du Monde étaient tournées en dérision. «Purs fantasmes!» s’indignait l’ancien président. Jusqu’à ce que l’accumulation de documents et de témoignages conduise à l’entendre, de même que son fidèle bras droit, l’ancien ministre Brice Hortefeux, auditionné comme suspect libre.
«Le faux grossier» validé
En 2012, une note explosive est publiée par Mediapart. Elle date de 2006 et est prêtée à Moussa Koussa, l’ancien chef des renseignements extérieurs libyens. Le document évoque un accord de principe pour le versement de 50 millions d’euros par le régime de Kadhafi à l’équipe de Nicolas Sarkozy. Celui-ci, alors ministre de l’Intérieur, brigue l’Élysée. «Un faux grossier!» a toujours juré l’ex-président. Mais la justice valide la note. Ce n’est pas le seul élément à charge. L’intermédiaire franco-libanais Ziad Takkiedine (mis en examen) a admis avoir transporté lui-même 5 millions vers la France pour les remettre ensuite à Claude Guéant, nommé secrétaire général à l’Élysée quand son champion est devenu président. Guéant a été mis en examen il y a trois ans déjà. Certaines de ses transactions intriguent: l’achat d’un appartement de plus de 700 000 euros à Paris réglé en liquide ou la perception d’une somme de 500 000 euros pour la vente de deux tableaux dont la valeur est largement surestimée. L’équipe de Nicolas Sarkozy maniait à l’époque les espèces sonnantes et trébuchantes. Le trésorier de la campagne de 2007, Éric Woerth, a lui-même été entendu à propos de primes versées en espèces aux collaborateurs.
«Qu’il rende l’argent»
Plusieurs anciens dignitaires libyens ont aussi parlé. C’est le cas d’Abdallah Senoussi, l’ancien directeur du renseignement militaire de Kadhafi. De Bechir Saleh, son ancien directeur de cabinet, blessé par balle en Afrique du Sud. Sans parler de Choukri Ghanem, l’ancien ministre du Pétrole, dont le corps a été retrouvé en 2012 dans le Danube, à Vienne. Dans des carnets, cet homme avait évoqué plusieurs versements. Sans parler du fils de Kadhafi lui-même, Saïf al-Islam, qui avait lancé en pleine guerre de Libye en 2011: «Que Sarkozy rende l’argent.» Un intermédiaire proche des réseaux Sarkozy, Alexandre Djouhri, a par ailleurs été arrêté à Londres en janvier. La France demande son extradition. Troublant aussi: piégés par des écoutes téléphoniques, des proches de Nicolas Sarkozy semblent redouter l’affaire.
Les soupçons qui pèsent sur un possible financement libyen de la campagne présidentielle de 2007 donnent un relief particulier à certains épisodes de l’histoire: la négociation, menée par Claude Guéant et Cécilia Sarkozy elle-même, pour la libération des infirmières bulgares détenues par le régime de Kadhafi, dès l’été 2007, ou la réception en très grande pompe du raïs libyen à Paris en décembre de la même année avant que la France ne participe finalement en 2011 à la guerre durant laquelle il a trouvé la mort.
À l’issue de sa garde à vue, Nicolas Sarkozy pourrait être mis en examen. À 63 ans, l’ancien président n’en a décidément pas fini avec les affaires.