L’homme d’affaires franco-libanais affirme au quotidien francophone libanais L'Orient-Le Jour que l’argent libyen qu’il a remis à Nicolas Sarkozy servait à payer le ministère français de l’Intérieur, et que l’ancien président avait établi une « ligne parallèle » avec les Libyens pour obtenir les fonds destinés à sa campagne présidentielle.
« Une revanche ? Non, mais un acte attendu. » L’homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine, qui avait révélé en 2016 avoir acheminé trois valises d’argent libyen au ministère français de l’Intérieur lorsqu’il était dirigé par Nicolas Sarkozy (avant son accession à la présidence en 2007), réagit calmement à l’annonce de la mise en garde à vue, aujourd'hui, de l’ancien président français.
Après avoir été mis en examen, en décembre 2016, par la justice française pour complicité de corruption, trafic d’influence et détournement de fonds publics, Ziad Takieddine livre sa version – qui comporte des points d’ombre et une certaine incohérence – de l’histoire trouble des relations entre M. Sarkozy et la Libye de Mouammar Kadhafi. « Kadhafi n’est pas coupable, c’est Sarkozy qui est coupable », affirme-t-il.
L’homme d’affaires qui a joué un rôle d’intermédiaire entre la France et le régime de Kadhafi assure avoir été un « médiateur officiel, mais dans l’ombre » de Nicolas Sarkozy auprès du régime libyen à partir de 2004. En novembre 2016, cinq jours avant la primaire de la droite française à laquelle participe Nicolas Sarkozy, M. Takieddine avait assuré avoir remis, entre fin 2006 et début 2007, cinq millions d’euros d’argent libyen au futur chef de l’État, alors ministre de l’Intérieur, et à son directeur de cabinet Claude Guéant.
« Combien coûte une campagne présidentielle en France ? »
« Je suis allé en Libye pour la première fois à la demande de Nicolas Sarkozy qui avait accepté l’invitation de Kadhafi, fin 2004-début 2005, pour ouvrir une nouvelle page avec la France », dit Ziad Takieddine, interrogé par L’Orient-Le Jour alors qu’il se trouve au Liban. C’est en octobre 2005 que Nicolas Sarkozy a effectué son premier voyage en Libye, avant de se rendre à nouveau dans ce pays en 2006.
Est-ce à ce moment qu’il aurait demandé que la Libye finance sa campagne électorale en vue de la présidentielle de 2007, dossier dans lequel s’inscrit la garde à vue de M. Sarkozy ? « À ma connaissance, ça ne s’est pas passé officiellement, mais dans des discussions en tête à tête » entre le ministre français de l’Intérieur de l’époque et des responsables libyens, soutient M. Takieddine. « J’ai eu connaissance de ces discussions en tête à tête quand Abdallah Sanoussi (chef des services secrets libyens et beau-frère de Kadhafi, NDLR) m’a demandé, juste après la visite de Sarkozy en Libye, combien coûtait une campagne présidentielle en France. J’ai dit qu’à ma connaissance une campagne coûtait 20 millions d’euros peut-être, mais que c’était financé par le parti (UMP) », ajoute Ziad Takieddine, selon lequel le responsable libyen l’interroge sur des détails qui commencent à l’étonner. « Pourquoi me demandez-vous cela ? » dit-il à M. Sanoussi. « Parce que Sarkozy a demandé au leader vingt millions, non trente, pour sa campagne qui allait venir », aurait répondu le responsable libyen. Ziad Takieddine dit lui avoir répondu : « Laissez-moi rentrer à Paris pour me renseigner, parce que c’est impossible, les 30 ou 20 millions seront financés par le parti lui-même s’il (Sarkozy) est désigné candidat du parti, ce qui n’est pas encore fait. Dites cela au leader, s’il vous plaît, qu’il ne paye pas. »
L’homme d’affaires, qui allait à l’époque régulièrement en Libye, rentre alors à Paris et pose la question à Claude Guéant. « Il a dit “Non, il y a eu une incompréhension, ce n’est pas ça” », poursuit Ziad Takieddine. « Naïveté oblige, je ne savais pas » que M. Sarkozy et son entourage avaient « établi des contacts directs avec Bachir Saleh, chef de cabinet de Kadhafi et responsable du Fonds d’investissement africain doté d’une centaine de milliards » de dollars. « Une ligne parallèle à moi s’était créée entre Claude Guéant et Bachir Saleh, et c’est de là que tout est parti », affirme-t-il, ajoutant : « Je ne savais rien. » « Mais je sais que la campagne de Sarkozy a été totalement financée » par la Libye, affirme-t-il.
Le « rôle central » de Bachir Saleh
Interrogé sur les preuves qui pourraient étayer ses affirmations, M. Takieddine n’en fournit pas, se contentant de souligner le rôle central joué par Bachir Saleh. « Bachir Saleh a effectué tous les virements à M. Guéant et M. Sarkozy », assure-t-il. Il souligne qu’il a été « exfiltré par la France, depuis la Tunisie, alors qu’il est recherché par Interpol », en 2012, après la chute du régime du colonel Kadhafi. Selon lui, c’est le Qatar qui a aidé Bachir Saleh, que la justice française souhaite interroger, à s’installer en Afrique du Sud. L’homme, visé par un mandat d’arrêt international, a été blessé dans un attentat contre sa personne fin février en Afrique du Sud. « Il y a beaucoup de gens qui veulent le tuer », commente M. Takieddine.
L’ancien Premier ministre libyen Mahmoudi Baghdadi, aujourd’hui incarcéré en Tunisie, a lui aussi transporté de l’argent dans le cadre de cette affaire, selon M. Takieddine. M. Baghdadi « a fait des déclarations sous serment à la justice tunisienne dans lesquelles il précise en détail comment se sont passés ses voyages à Genève pour rencontrer Claude Guéant et lui donner de l’argent, à quel hôtel, comment Guéant a fermé la valise avec ses pieds parce qu’il était en retard ».
Quant à l’homme d’affaires Alexandre Djouhri, personnage-clé de l’enquête sur un éventuel financement libyen de la campagne de M. Sarkozy, en détention provisoire à Londres depuis février et qui fait l’objet d’une demande d’extradition vers la France, « il est celui qui a traité avec Bachir Saleh, je l’appelle le blanchisseur de la République. Alexandre Djouhri a été attrapé, toute la mafia est en train de tomber maintenant ».
Reste que M. Takieddine se contredit lorsqu’on l’interroge sur la finalité de l’argent qu’il a affirmé, devant la justice française, avoir remis à Nicolas Sarkozy et son équipe.
Il explique que, pendant la période au cours de laquelle M. Sarkozy était ministre de l’Intérieur, la Libye voulait conclure des accords avec la France dans le cadre de la coopération de sécurité dans la Méditerranée, notamment pour protéger les frontières libyennes et empêcher l’immigration clandestine d’Africains en Europe. « Entrait dans ce cadre l’achat d’équipements militaires, des avions pour faire de la surveillance, des équipements que les Libyens n’avaient pas et que la France a souhaité exporter vers la Libye », dit-il. Il fallait en outre qu’il y ait « une coopération entre les deux pays au niveau des renseignements et apprendre aux Libyens en France comment utiliser ces équipements (...). Dans ce cadre, il y avait les échanges entre les services qui sont gérés normalement par les fonds secrets de Matignon. Les Libyens devaient payer pour leur séjour en France, pour la formation, et cela représentait une somme d’à peu près cinq millions (d’euros) qu’il fallait payer en liquide en France au ministère de l’Intérieur. C’est ce que j’ai fait », assure-t-il.
M. Takieddine avait auparavant affirmé à la justice française avoir acheminé trois valises d’argent, contenant au total 5 millions d’euros, entre novembre 2006 et janvier 2007, au ministère de l’Intérieur où Claude Guéant les réceptionnait, pour financer la campagne de Sarkozy.
Dans une interview accordée aujourd'hui au Parisien, Me Elise Arfi, avocate de M. Takieddine, a déclaré qu’en mettant en cause Nicolas Sarkozy en novembre 2016, son client avait souhaité « réagir aux déclarations faites en 2012 par Abdallah Sanoussi révélées par Mediapart. Ce dernier avait affirmé aux enquêteurs de la Cour pénale internationale (CPI) avoir supervisé le transfert de 5 millions d’euros pour financer la campagne de Sarkozy en 2007 en se servant de deux intermédiaires dont M. Takieddine. Confronté à ces propos, mon client a décidé de les confirmer à la justice ».
Prié par L’OLJ de commenter les déclarations de son avocate, M. Takieddine s’en est tenu à sa version, selon laquelle les cinq millions étaient destinés au ministère de l’Intérieur et non pas au financement de la campagne de M. Sarkozy. Et de conclure : « J’ai la conscience tellement tranquille que je vais inquiéter les autres. »