En Algérie, les autorités ont interdit la sortie en salles d'un film sur Larbi Ben M'hidi, un des chefs historiques de la guerre d'indépendance contre la France. Un organe du ministère des Moujahidine émet des réserves et exige des modifications.
(AFP) - Bachir Derrais devrait être dans une salle de cinéma pour présenter son long-métrage. Mais au lieu d'en faire la promotion, le cinéaste est bloqué dans son bureau à regarder le "making off" de son film, un "biopic" sur Larbi Ben M'hidi.
De son enfance et adolescence, à ses années de combat au sein du Front de libération nationale (FLN), son film retrace la vie de Ben M'hidi, héros de la guerre d'indépendance algérienne et l'un des neuf chefs historiques du FLN qui déclenchèrent la guerre d'indépendance le 1er novembre 1954.
Interdiction pour "réserves" sur le contenu
Le tournage a demandé un gros budget, 6 millions d'euros, avec des dizaines de figurants, des décors et des costumes d'époque. Le tout recréé, après des années de recherches, fondés sur des écrits historiques et des témoignages d'anciens combattants et chefs du FLN. Alors que le film est enfin prêt à sortir en salle, les autorités viennent tout bonnement de l'interdire. "Il est strictement interdit de projeter le film ou de l'exploiter sous une quelconque forme, jusqu'à la levée des réserves et à l'accord final sur son contenu", a écrit à M. Derrais un organisme dépendant du ministère des Moudjahidine (anciens combattants).
La lettre de cet organisme, le Centre national d'Etudes et de Recherches sur le Mouvement national (Cnermn), publiée par plusieurs journaux et confirmée par M. Derrais, ne détaille pas ces "réserves". Ce qui est certain, c'est que le gouvernement demande au réalisateur de revoir sa copie. "Moi, je ne joue pas le jeu. Il y a une volonté aujourd'hui, quand je vois les remarques, et ce qui se dit à droite et à gauche, j'ai l'impression qu'on veut réécrire l'histoire à sa manière, sur les dos des martyrs..". (Bachir Derrais, réalisateur et producteur du film "Ben M'hidi")
Un film trop "politique", trop critique ?
Selon le cinéatse, les autorités jugent le film "trop politique"... Elles auraient préféré davantage de "scènes de guerre" mettant en valeur les combattants algériens ou d'images de tortures commises par l'armée coloniale, a-t-il confié.
Plusieurs séquences auraient déplu, en particulier celles qui relatent les désaccords au sein du FLN, comme une scène d'altercation entre Larbi Ben M'hidi et Ahmed Ben Bella, futur président de l'Algérie. Un échange qui figure pourtant "dans tous les livres d'Histoire", a-t-il poursuivi. Au ministère de la Culture, on parle plutôt d'incompatibilité entre le scénario originel et le film présenté.
"On s'est retrouvé devant deux films. D'un côté, un film qui n'a pas été tourné, qui est basé sur le texte de Mourad Borboune, peut-être certaines choses ont été tirées de ce texte, et de l'autre le film qui a été fait par le réalisateur. Un film avec une vision différente..." (Azzedine Mihoubi, ministre algérien de la Culture)
Le ministre algérien de la Culture a également soumligné que "les autorités, les ministères des Anciens combattants et de la Culture, ont subventionné ce film, sur la base d'un scénario qui a été abandonné".
Les 800 millions de dinars (environ 6 millions d'euros) de budget du film ont été financés à 40% par le ministère algérien de la Culture et à 29% par celui des Moudjahidine.
De son côté, une source au ministère des Moudjahidine a expliqué à l'AFP, sous couvert d'anonymat, que "le film n'a pas respecté le scénario" validé par les autorités et "donne une image dégradante de Ben M'hidi, le montrant comme un forcené alors qu'il est connu pour sa sagesse".
Une loi contre toute atteinte à la guerre d'Algérie
En Algérie, "la production des films relatifs à la guerre de libération nationale" est soumise à "l'approbation préalable du gouvernement". La loi va jusqu'à interdire les films "portant atteinte (...) à la guerre de libération nationale, ses symboles et son histoire".
Pour Bachir Derrais, "la liberté d'expression est en train de disparaître, surtout aujourd’hui quand on voit les lois". "Moi, j’étais parmi les rares qui ont dénoncé en 2011 la loi de l’ancienne ministre de la culture Khalida Toumi, j’ai dit que cette loi allait assassiner le cinéma. La loi, elle enlève le pouvoir au cinéaste, elle donne le plein pouvoir à l'administration. Aujourd'hui grosso modo, le cinéaste n'a aucun pouvoir."
Selon le réalisateur, il y a eu plusieurs scénaristes sur le film dont Mourad Borboune, Abdelkrim Bahloul et Olivier Gorce, et la version finale devait être sous contrôle du cinéaste. Bachir Derrais refuse donc de céder son pouvoir sur "le montage final", et n'exclut pas d'aller en justice pour, dit-il, "libérer" son film. En attendant, le film "Ben M'hidi" reste interdit de projection ou d'exploitation... jusqu'à nouvel ordre.