Certains musulmans pensent que le mariage devant un imam et quelques témoins, appelé aussi mariage par «la fatiha», a autant de valeur et de légalité qu'un mariage profane devant le maire. Sauf que le Maroc comme l'Algérie font face au problème des enfants nés de ces mariages informels, qui n'ont aucune existence légale, avec toutes les conséquences que l'on peut imaginer. Un article de Frédérique Harrus paru dans Géopolis.
Le mariage dit «par la fatiha» remonte à une société ancienne, quand peu de gens savaient lire et écrire. Ces unions avaient lieu dans de petites communautés, où les gens se connaissaient, et devant lesquelles ils s'engageaient.
Dans l'islam, le mariage est un contrat verbal (parfois écrit) entre deux parties, entre deux familles. Ce n'est pas un sacrement. Procéder à un mariage uniquement avec une procédure religieuse, par «la fatiha», sans acte légal écrit devant un maire ou un juge, peut facilement se retourner contre les épouses et les enfants issus de ces unions non-officielles d'un point de vue légal.
Certains jeunes hommes peuvent ainsi consommer ce type de mariage dont ils peuvent se dégager facilement, sans se préoccuper des conséquences ultérieures pour la demoiselle voire sa descendance.
Un mariage bien discret
Souvent, ces mariages «par la fatiha» sont assez discrets, car ils permettent de prendre une deuxième femme, parfois à l'insu de la première. En effet, avec la modification des codes de la famille, qu'ils soient algérien ou marocain, l'obligation a été faite de déclarer l'union auprès des autorités, condition pour obtenir un livret de famille. Les autorités religieuses algériennes ne s'y trompent pas en déclarant dans El Watan: «C’est pour cette raison que nous avons tranché, que le mariage seulement par la fatiha est strictement haram (interdit, NDLR). C’est un péché. Il est considéré comme un adultère.»
En Algérie, depuis 2005, l'homme doit justifier, pour pouvoir prendre une deuxième épouse, de l'existence d'«un motif justifié et son aptitude à offrir l'équité et les conditions nécessaires à la vie conjugale». A défaut, il ne peut contracter officiellement de deuxième mariage, et c'est d'ailleurs l'enjeu de cette disposition: décourager la polygamie.
Au Maroc, la «moudawana», le code de la famille adopté en 2004, a donné un délai de cinq ans pour régulariser tous les mariages coutumiers ou conclus par «la fatiha», assez répandus en zone rurale. Alors que ce code de la famille devait compliquer la pratique de la polygamie, il n'a pas eu l'effet escompté. En 2015, ce délai a de nouveau été activé pour déclarer les mariages.
De graves conséquences
Que la décision de ne pas contracter de mariage légal soit volontaire ou du fait d'une ignorance, la situation dans laquelle se retrouvent la femme et les enfants issus de ce type d'union devient très compliquée au décès du conjoint. La femme n'ayant aucune existence légale en tant qu'épouse n'a aucune légitimité à réclamer quoi que ce soit du patrimoine de feu son époux, ni aucun recours.
En cas de veuvage du mari, ses enfants refusent souvent que leur père se remarie devant les autorités compétentes, ce qui prive la nouvelle épouse et son éventuelle descendance de toute prétention au partage de l'héritage.
Les femmes mariées par «la fatiha» se retrouvent souvent à la mort de leur conjoint sans le sou et leurs enfants ne figurent sur aucun livret de famille. Pas d'inscription à l'état civil, pas d'acte de naissance, pas de livret de famille: tout cela signifie pas d'école, pas d'aide, pas de soins et des enfants fantômes. «Les hommes n'assument pas leurs actes. La femme n'est finalement pas protégée par la loi. Les imams doivent aussi jouer le jeu et devraient refuser de procéder à "la fatiha" sans la présence d'un acte de mariage civil», explique l'avocate Malika Chikha dans El Watan.
Retournement de situation
Auparavant, les cas les plus fréquents concernaient des femmes qui se retrouvaient sans recours. Des maris qui retournaient avec leur première épouse, jetant la seconde à la rue, par exemple. Des enfants d'un premier lit qui déniaient tout droit à ceux du second. Mais avec l'évolution de la société, les femmes hésitent moins à engager des procédures de reconnaisssance en paternité et ce, quel que soit le statut du père. Dernièrement, un député marocain a été traîné devant les tribunaux par sa jeune compagne pour la reconnaissance de leur fille.
Les plaintes ne sont pas limitées aux mamans, les enfants attaquent aussi en justice leur père pour lui faire reconnaître sa paternité. C'est le cas de Smaïl, aujourd'hui âgé de 21 ans, encore sans papiers. «J'ai grandi dans une pouponnière. Aujourd'hui, je veux que mon père assume son fils. Je cherche une affiliation paternelle. Je ne cherche rien d'autre, je ne veux pas d'héritage, ni de biens. Je veux seulement avoir un nom et de ne plus être complexé devant la société et mes amis. Je veux construire mon avenir. Il ne veut pas détruire son foyer alors qu'il a lui-même détruit ma vie avec son égoïsme», se désole Smaïl dans El Watan.
Si le mariage par «la Fatiha» est reconnu d'un point de vue religieux, il fait de plus en plus débat parmi les imams. Certains d'entre eux, comme le prêcheur Hassan Iquioussen, l'évoquent (vidéo) pour mieux mettre en garde les jeune femmes naïves qui pourraient se laisser abuser par l'aspect rassurant – parce que religieux – d'une telle pratique.