C’est un véritable cri de colère que les familles et le collectif des avocats de Kamel Chikhi, connu sous le sobriquet de «Boucher», propriétaire de la cargaison de viande importée du Brésil dans laquelle étaient dissimulés les 701 kg de cocaïne saisis à Oran, au mois de mai dernier, et de ses cinq codétenus ont lancé, jeudi dernier.
Ils dénoncent la mesure «arbitraire et illégale» de «refuser» à ces derniers «le droit à un panier de produits alimentaires deux fois par mois». «Cela fait trois mois que les six détenus sont privés de leur couffin. Nous avons demandé des explications au directeur de la prison d’El Harrach, il nous a déclaré que cette décision a été prise sur instruction du ministre de la Justice.
Pourquoi une telle ségrégation ? Rien ne justifie une telle mesure. De quoi a-t-on peur ? Si la mesure répond à des impératifs de sécurité, ils n’ont qu’à renforcer le contrôle des produits.
Nous ne pouvons pas croire que les gardes de l’administration pénitentiaire soient incapables de contrôler les paniers des familles des détenus. Il y a là une volonté délibérée de stigmatiser Kamel Chikhi et ses cinq codétenus pour des raisons que nous ignorons», ont déclaré les avocats et les membres des familles des détenus.
Selon eux, depuis la mise sous mandat de dépôt des six prévenus, le 7 juin 2018, «aucun de ces derniers n’a eu droit au panier. Pis encore, les visites ont été réduites à uniquement les parents, épouses et enfants, alors que pour les autres détenus ce droit est élargi à la grande famille et le couffin est autorisé deux fois par mois».
Nos interlocuteurs affirment avoir tenté à maintes reprises de rétablir les détenus dans leur droit, en vain. «Le directeur de la prison est resté intransigeant sous prétexte que la mesure émane du ministre en personne. Est-ce normal qu’un ministre de la Justice prenne une telle mesure contre des détenus ? Kamel Chikhi et ses cinq codétenus sont, jusqu’à preuve du contraire, présumés innocents.
Ce sont des prévenus comme les autres. Leurs droits doivent être respectés.» Ce cri de colère du collectif d’avocats et des familles intervient alors que l’instruction menée par le juge de la 9echambre du pôle pénal spécialisé d’Alger, qui siège au tribunal de Sidi M’hamed, près la cour d’Alger, avance à pas de fourmi.
Durant une bonne partie du mois d’août, l’enquête judiciaire a été mise en stand-by en raison des vacances judiciaires et dès la reprise, seul le fils de Abdelkader Zoukh, wali d’Alger, cadre à l’OPGI de Bir Mourad Raïs, a été entendu par le juge, une première fois sur convocation de ce dernier, et une seconde fois sur demande du concerné pour complément d’information. Le nom de celui-ci avait été cité par le fils de l’ancien wali de Relizane, en détention dans le cadre de cette affaire.
Dans les jours à venir, le juge pourrait entamer les auditions dans le fond et les confrontations pour les 18 prévenus, poursuivis pour les délits, entre autres, de «trafic d’influence» et de «corruption».
Pour ce qui est du dossier de la cocaïne, aucun acte de procédure n’a été entrepris jusqu’à présent. Même la demande d’audition de l’ex-patron de la police, Abdelghani Hamel, que les avocats de Kamel Chikhi ont déposée est toujours dans les tiroirs du bureau du magistrat instructeur.
Pourtant, Abdelghani Hamel a affirmé détenir des informations sur le dossier qu’il avait promis de remettre à la justice, et avait parlé de «graves violations de la procédure lors de l’enquête préliminaire». De tels propos auraient dû susciter l’autosaisine du juge d’instruction, mais cela n’a pas été le cas et un mois après le dépôt par les avocats de Kamel Chikhi, de la demande d’audition de Hamel, aucune réponse n’a été donnée.
Peut-on croire que le juge n’a décelé aucun message dans les propos de l’ex-premier policier du pays, qui ont, faut-il le rappeler, provoqué son débarquement manu militari de son poste ? Au rythme où va l’enquête judiciaire, l’opinion ne risque pas de connaître les dessous de ce grand scandale qui a ébranlé les institutions de l’Etat et éclaboussé de nombreuses personnalités civiles et militaires.
Et tant que les commissions rogatoires délivrées aux autorités espagnoles et brésiliennes ne sont pas encore revenues, rien n’indique qu’un jour la vérité sur les responsables directs et indirects de cette importante opération d’importation de plus 700 kg de cocaïne soient démasqués…