Le gouvernement provisoire kabyle (Anavad) et le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) ont présenté, ce jeudi 19 mai 2022 à Paris, la toute première mouture de la Constitution de ce que sera la République fédérale de Kabylie. Le moment est unanimement qualifié d’historique, le texte, d'ambitieux à plus d’un titre.
Le moment est solennel, le jour «historique» et l’évènement célébré est présenté comme «un tournant décisif» dans la longue «lutte de la Kabylie pour recouvrer sa souveraineté». Ce jeudi 19 mai à Paris, le gouvernement provisoire kabyle (Anavad) et le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), présidés par Ferhat Mehenni, ont présenté le tout premier projet de Constitution de la Kabylie indépendante. C’était devant un public enthousiaste venu en nombre assister à une conférence suivie à distance aux quatre coins du monde.
«Nous décrétons par là avoir récupéré, par la paix, une liberté qui nous a été confisquée par la force en 1957 et une Kabylie débarrassée du colonialisme et de la dictature. Cette Constitution, c'est notre trophée à toutes et tous et notre arme pour écourter la nuit de l’oppression. Ce texte, c’est notre définition et notre façon de nous présenter au monde», a déclaré Ferhat Mehenni, fier, à cette occasion.
Fruit d’un travail de deux années et élaborée par une commission issue du parlement kabyle, cette Constitution sera soumise à débat public pour être adoptée en janvier 2023. Sa présentation ce jeudi est un symbole. «C’est le même 19 mai de l’année dernière que nous avons été classés comme organisation terroriste par le régime des généraux algériens», a ironisé le président du MAK. «Ecrite au XXIe siècle, cette Constitution devait être exemplaire et consacrer avant tout l’humain», a-t-il résumé.
Tenant compte des spécificités du peuple kabyle et inspiré notamment des modèles américain et suisse, le texte consacre le pluralisme, la démocratie, la séparation des pouvoirs, la laïcité, et le kabyle comme langue officielle. C’est ainsi qu’il proclame la Kabylie comme une République fédérale avec un Parlement (une première Chambre et un Sénat), un gouvernement et un président auxquels reviendront des fonctions régaliennes. La Kabylie indépendante sera également dotée d’un Conseil constitutionnel, d’un Haut Conseil à la sécurité, d’un Conseil économique, social et environnemental et d’un Haut Conseil à la magistrature, entre autres. La Kabylie sera ancrée dans son espace africain, méditerranéen et dans le monde, promettent les initiateurs du projet de loi fondamentale
Chacun des Etats fédérés, dont le nombre reste à déterminer, disposera de ses propres parlement, gouvernement et gouverneur.
Une lecture de quelques extraits de cette Constitution, faite au cours de cette cérémonie, révèle que la Kabylie sera une république laïque. La gestion des cultes relève du domaine privé et la liberté de culte y est garantie. La Constitution consacre également la démocratie, telle qu’universellement reconnue, qui sera une valeur fondamentale. L’égalité entre les femmes et les hommes est garantie, au même titre que la liberté d’opinion, de rassemblement et de grève, notamment.
Aux algériens, les Kabyles libres et indépendants tendent déjà la main. «Notre indépendance n’est nullement dirigée contre les Algériens. Au contraire, nous sommes vos frères et notre liberté retrouvée, qui pourra servir de modèle, est une façon de vous aider et de montrer la voie. Cette liberté sera comme un savoir-faire que nous vous transmettrons», a affirmé Ferhat Mehenni.
Cela n’empêche pas la Kabylie de s’attendre à une réaction hostile de la part de la junte algérienne. «La Kabylie indépendante aura tous les moyens de se défendre», a répliqué le président du MAK, sous les applaudissements. La couleur est d’ores et déjà annoncée. Et les généraux sont aujourd’hui l’objet de poursuites à la Cour pénale internationale pour génocide intenté contre le peuple kabyle. Ceci, suite aux incendies ravageurs ayant fait plus 500 morts l’été dernier en Kabylie et dont les responsables du gouvernement provisoire accusent le régime militaire algérien. «Je vous mets en garde contre toute tentative de récidive et j’espère que les Canadair affrétés par la junte en prévision de l’été prochain ne vont pas servir à mettre le feu à nos forêts au lieu de les éteindre», a de nouveau ironisé Mehenni à l'adresse du pouvoir algérien.
Ferhat MEHENNI, Président de L’ANAVAD
" La Kabylie est kabyle et cette constitution le dit haut et fort."
Motivés pour l'indépendance de leur pays, les kabyles poursuivent leur lutte pacifique. Depuis quelques jours, le gouvernement provisoire annonce un projet qui ne manque pas d'importance : " la constitution est un repère éternel pour la Kabylie. Elle pose les fondements d’un Etat appelé à être régi et nourri par de nobles valeurs", déclare haut et fort le président Mehenni.
Dans une interview exclusive qu'il nous accorde à cette occasion, le président, qui remercie le royaume du Maroc de son soutien, nous dévoile la situation actuelle de leur mouvement d'indépendance et fait appel à la mobilisation de la communauté internationale pour accélérer le processus initié depuis plusieurs années pour la l'indépendance du pays. Interview.
Réalisé par Rida ADDAM.
Monsieur le Président, où en est la cause kabyle ? Y a-t-il des avancées à l’échelle internationale ?
Depuis un an, ce sont les militaires algériens qui ont fait faire des pas de géants à l’Anavad (Gouvernement Provisoire Kabyle en exil), au MAK (Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie) et au combat pacifique du peuple kabyle pour son indépendance. Alors que nous peinions à enregistrer des avancées diplomatiques, la décision des généraux de nous faire passer pour des terroristes auprès de l’opinion internationale a de fait internationalisé la question kabyle. A force de vouloir dénier au peuple kabyle le droit à l’autodétermination, il n’a fait qu’en souligner davantage toute la légitimité.
La tentative désespérée d’Alger de nous amener à prendre les armes pour créditer son illégal classement du MAK en tant qu’organisation « terroriste » s’est retournée contre l’Etat major algérien. Au lieu de nous amener à la faute, il s’est fait prendre à son propre piège. Les abominables crimes commis durant ces terribles provocations sont enregistrés pour l’éternité par l’Histoire. Ainsi, des plaintes pour tentative de génocide ont été déposées auprès des instances internationales. Elles concernent trois volets :
1) l’abandon de la Kabylie à son sort devant le Covid 19 ayant occasionné plus de 5000 morts en moins de six mois (avril à août 2021) ;
2) les incendies infernaux au phosphore allumés par les militaires dans un élan génocidaire antikabyle inédit et ayant enregistré plus de 500 morts et plusieurs milliers de blessés, sans oublier les dommages occasionnés à la nature et aux biens.
3) les centaines d’innocents arrêtés, torturés et mis sous mandat de dépôt par l’Algérie, en violation totale de la Déclaration universelle des droits humains et des Pactes internationaux ratifiés par l’Algérie.
Ce qui a également fait grandement avancer la cause kabyle, depuis un an, est le soutien moral que lui a apporté le Maroc devant les instances onusiennes. Au nom de tous les Kabyles épris de liberté, nous lui exprimons notre gratitude et notre fraternité. Nous savons ce que ce soutien lui en a coûté. Il est la raison essentielle pour laquelle l’Algérie a unilatéralement rompu ses relations diplomatiques avec Rabat.
La Constitution de la République Fédérale de Kabylie a provoqué un débat à l’échelle internationale. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
La Constitution de la République Fédérale de Kabylie est désormais, avec le Mémorandum déposé à l’ONU le 28/09/2017, notre carte de visite, notre photo de profil pour que le monde entier nous identifie clairement sur le chemin du recouvrement de notre souveraineté. La domination coloniale algérienne sur la Kabylie est une violence insupportable et inadmissible. La Kabylie est kabyle et cette constitution le dit haut et fort.
Elle est intéressante ne serait-ce que pour la comparaison que chacun peut faire entre la constitution kabyle et celle de l’Algérie. Après le divorce exprimé par la Kabylie avec l’Algérie et acté par le boycott de tous les scrutins algériens, cette Loi fondamentale est historique et arrive à point nommé. Elle est un repère éternel pour la Kabylie. Elle pose les fondements d’un Etat appelé à être régi et nourri par de nobles valeurs issues de notre patrimoine sociétal ancestral et de celles pérennisées par les grandes démocraties du monde moderne.
J’appelle le peuple kabyle à discuter et à en enrichir le contenu. Le débat commencera le 14/06/2022 qui correspond à la journée de la Nation Kabyle, et s’étalera sur une période de six mois avant d’en faire la synthèse à soumettre pour adoption.
Le régime militaire algérien commence à activer ses réseaux pour banaliser l’avènement de cette constitution. Comment comptez-vous communiquer ?
Nous attendons ses réseaux de pied ferme. Il a déjà mobilisé des dizaines d’écervelés pour me tuer politiquement, ils ne font que le ridiculiser lui-même. Même ma page Wikipédia est prise en otage. Le régime y déverse des immondices pour me salir et toute correction apportée par nos équipes est automatiquement effacée aussitôt.
Tout ce qui risque d’arriver est que cette constitution de la République Fédérale de Kabylie oblige Alger à changer sa propre constitution pour rivaliser avec la nôtre. Mais comme les militaires sont les premiers à violer toutes les lois qu’ils édictent eux-mêmes, nous n’avons aucun souci à nous faire quant à une rivalité entre nos textes. Le leur ne sera jamais crédible face au nôtre. Le régime est militaire et ses constitutions sont toutes martiales. Elles sont rédigées pour un pays-caserne et non pour un peuple libre.
Le soutien marocain, Roi, gouvernement et peuple se poursuit depuis plus d’un an. Qu’attendez-vous davantage de vos frères marocains dans votre lutte pacifique pour la liberté ?
Permettez-moi de saluer l’ensemble du Maroc, Sa Majesté le Roi Mohammed VI, son gouvernement, ses diplomates et le grand peuple frère marocain. Que chacun trouve dans ces mots l’expression de notre éternelle gratitude.
Ce que nous attendons davantage est une reconnaissance officielle du Gouvernement provisoire kabyle, l’ouverture d’une représentation diplomatique kabyle à El Ayoun et un soutien politique auprès de la 4e Commission de l’ONU chargée de la décolonisation. Nous demandons également un soutien à la demande de l’Anavad d’être membre observateur au sein de l’Union Africaine.
La communication et les manifestations pacifiques du peuple kabyle à travers le monde est un exemple à suivre en matière du respect des lois et des conventions internationales. En revanche, les autorités coloniales algériennes continuent de réprimer le peuple kabyle et ses militants en les séquestrant et en les torturant, en violation de tous les droits humains. Comment le peuple kabyle et son gouvernement en exil vivent-ils ces exactions ? Quel est l’écho de votre voix qui crie contre ces injustices, ces tortures et ces barbaries ?
Un climat de terreur est actuellement imposé par les forces d’occupations et leurs supplétifs à un peuple kabyle pacifique et désarmé. C’est de la lâcheté. Les arrestations et les tortures sont quotidiennes et n’ont pas d’autre objectif que de faire peur dans l’espoir que les Kabyles taisent leur soif d’indépendance. C’est voué à l’échec.
Malgré la guerre en Ukraine, et probablement à cause d’elle, les militaires algériens ne peuvent plus compter sur le parapluie russe en matière de droit de véto à l’ONU où nous venons de dénoncer leurs crimes en Kabylie. En novembre prochain, l’Examen Périodique Universel sur la situation des droits humains en Algérie aura lieu en notre présence à Genève. Nous serons armés de dossiers volumineux sur les tortures, les arrestations et les détentions arbitraires, la tentative de génocide contre le peuple kabyle par les incendies criminels d’août dernier.
Une plainte auprès de la CPI est également en cours. Nous espérons qu’elle ne tardera pas à être examinée.
Amnesty International, Human Rights Watch, et le rapport du Département d’Etat américain ont cette année tenu compte de nos informations et ont dénoncé les violations des droits humains sur les militants kabyles comme ils ont condamné le classement du MAK en tant qu’organisation terroriste par Alger.
Le monde entier connait les graves violations que pratiquent quotidiennement les forces d’occupation algériennes en Kabylie. Qu’attend l’ONU pour décréter des mesures de protection en faveur du peuple kabyle ?
La guerre en Ukraine fait écran à toute autre urgence dans le monde, depuis quelques mois. Pour briser le mur du silence, nous avons besoin de voix parmi les membres de l’ONU. Nous essayons d’en avoir quelques-unes. Pour le moment nous sommes soumis à un black-out médiatique par des pays qui espèrent de l’Algérie des positions favorables à leurs intérêts. Or ces intérêts ne seront jamais mieux servis face à l’Algérie que par la défense du droit du peuple kabyle à l’autodétermination. Beaucoup d’entre eux commencent à le comprendre.