Ils retiennent de lui « Ya Rayeh » et pas forcément « Douce France » : pour les Algériens et les Marocains, Rachid Taha, décédé mercredi à 59 ans, est un artiste maghrébin avant d’être une figure du rock français.
ALGER et CASABLANCA – « Je me souviendrai toujours de ce jour où il m’a fait monter sur scène, au Cabaret sauvage, pour chanter avec lui un bout de ‘‘Rock the Casbah’’ et de ‘‘Ya Rayeh’’. C’était un moment inoubliable ».
En apprenant la mort du chanteur Rachid Taha, décédé d’une crise cardiaque dans la nuit de mardi à mercredi à l’âge de 59 ans, le comédien algérien Idir Benaibouche a bien du mal à trouver les mots pour dire toute sa tristesse.
« Je l’ai rencontré en 2013, lors de la commémoration des 30 ans de la Marche pour l’égalité [aussi appelée Marche des Beurs]. Et puis nous sommes restés amis. La dernière fois que nous nous sommes parlé, c’était il y a un mois », confie-t-il à Middle East Eye. « C’était un vrai punk. J’aimais sa détermination, son courage et son amour pour l’Algérie. Un jour, il m’a dit : ‘‘L’Algérie est toujours dans mon cœur’’. »
Une chose est sûre, à lire les témoignages qui se succèdent sur les réseaux sociaux, les Algériens aussi le garderont dans leur cœur.
En particulier K. Smaïl, son ami et confident, journaliste algérien en charge de la culture pour le quotidien El Watan. « Nous sommes originaires de la même région, Mascara », raconte-t-il à MEE. « Un jour, il m’a appelé pour me dire : ‘‘Je veux te voir pour te dire quelque chose mais je veux te voir à Sig’’ [son village natal, à une cinquantaine de kilomètres d’Oran]. Alors je suis parti le retrouver. Je pensais qu’il allait me parler de projets musicaux ou personnels. Mais là, il m’a annoncé qu’il souffrait d’une maladie dégénérative. L’an dernier, nous avons passé une semaine ensemble dans la région, à arpenter les lieux de son enfance, à déconner, à manger du couscous et boire du lait caillé. Il était généreux. Humain. Illuminé », se souvient le journaliste qui, dans la perspective d’écrire un livre, a enregistré des heures et des heures de discussions avec le chanteur.
« Pour moi, il restera celui qui a internationalisé le patrimoine algérien en reprenant notamment ‘‘Ya Rayeh’’, un titre chaâbi [musique populaire algéroise] du chanteur algérien Dahmane El Harrachi, devenu un succès international. Ce que n’a pas réussi à faire Khaled », poursuit K. Smaïl.
Le 22 septembre, Rachid Taha devait d’ailleurs donner un concert à l’opéra de Lyon pour fêter les vingt ans de « Diwân », quatrième album du chanteur sur lequel figure, pour les Algériens, son titre le plus emblématique.
Car en France, où il est arrivé à l’âge de 10 ans, les médias retiennent plutôt de son répertoire l’adaptation de « Douce France » par son groupe Carte de séjour, formé en 1980, avec lequel il se fit le porte-drapeau de la communauté française d’origine maghrébine de seconde génération.
« Douce France », que le chanteur et compositeur français Charles Trénet créa en 1943 pour soutenir les expatriés de force durant la Seconde Guerre mondiale, Taha en fit l’hymne d’une jeunesse française métissée et tolérante.
Pour lutter contre les lois Pasqua visant à réguler l’immigration, Carte de séjour alla jusqu’à distribuer ce single aux députés à l’Assemblée nationale. Cette chanson fut aussi celle des meetings de la campagne présidentielle de François Mitterrand en 1988.
« Il reste un chanteur malgré tout Algérien », insiste Sarah, une jeune Algéroise. « Même avec des notes occidentales, une touche algérienne se faisait toujours ressentir dans sa musique. »
Amrane, étudiant, la rejoint : « Son art, sa sensibilité artistique et sa simplicité manqueront au paysage musical algérien. Il évoque pour moi le raï chanté avec une voix à mi-chemin entre le rocker et le crooner. Unique en son genre. »
« C’est certain, il a marqué une certaine génération », admet Lounès, un réalisateur algérien qui l’a rencontré dans une discothèque parisienne dans les années 1990. « C’était un rockeur, avec tous ses excès, et indéniablement, un bon musicien. »
Rachid Taha, qui a grandi avec le punk et le rock, ne cessa par la suite d’y rester fidèle tout en y infusant de la musique orientale, comme avec sa reprise, en 2004, de « Rock the Casbah » de The Clash.