
Moderna, la société créée par le Français Stéphane Bancel aux USA, a annoncé lundi que son candidat vaccin était efficace à 94,5% contre le COVID-19, selon des données provisoires issues d’essais cliniques avancés, une semaine après l’annonce de son concurrent Pfizer qui, associé à l’allemand BioNTech, a dit avoir développé un produit efficace à plus de 90%.
(Reuters) - Moderna a obtenu ce résultat sur la base de 95 personnes contaminées ayant reçu soit un placebo soit le candidat vaccin du laboratoire américain. Seules cinq de ces personnes ont été contaminées alors qu’elles avaient reçu le candidat vaccin, administré en deux doses espacées de 28 jours.
Sur la base de ces premières données, Moderna espère être en mesure d’entamer la vaccination dès la fin de l’année aux Etats-Unis et début 2021 en Europe, précise le directeur général de Moderna, le Français Stéphane Bancel, dans une interview aux Echos.
“La phase III de test se terminera quand nous aurons eu 151 cas de personnes atteintes”, explique-t-il. “Vu le niveau de contamination aux Etats-Unis, ce nombre devrait être atteint dans les 10-15 jours.”
“Il faudra ensuite que les différentes autorités sanitaires approuvent le vaccin d’une manière accélérée lorsque nous déposerons notre dossier fin novembre-début décembre. Cela prendra quelques semaines et nous devrions donc être en mesure de commencer la vaccination aux Etats-Unis d’ici la fin de l’année et en Europe en début d’année prochaine.”
“Encore faut-il que nous concluions nos discussions avec l’Europe. Cela a pris 15 jours au Canada. C’est un peu plus long en Europe…”, ajoute Stéphane Bancel.
L’avantage du vaccin de Moderna par rapport à celui de Pfizer est qu’il ne nécessite pas d’être stocké à des températures aussi basses de moins 70° Celsius. Il peut être conservé dans un réfrigérateur normal pendant 30 jours et jusqu’à six mois à -20°.
L'Union européenne veut un accord à moins de 25 dollars la dose
Si les autorisations réglementaires suivent, les Etats-Unis pourraient disposer dès l’année prochaine de plus d’un milliard de doses fabriquées par les deux groupes, largement de quoi satisfaire la demande de leurs 330 millions d’habitants.
Ces deux candidats vaccins utilisent la technologie de l’ARN messager (ARNm), qui repose sur des gènes synthétiques pouvant être générés et fabriqués en quelques semaines, et produits à grande échelle plus rapidement que les vaccins classiques.
La Commission européenne souhaite conclure un accord avec Moderna pour la fourniture de millions de doses à un prix unitaire inférieur à 25 dollars (21,11 euros), a indiqué un responsable européen impliqué dans les négociations.
Un accord pourrait être conclu dans les jours qui viennent, a ajouté cette source. Les dernières discussions portent sur les termes juridiques du contrat, mais ne rencontrent aucun obstacle majeur à propos du prix, a-t-elle précisé.
L’UE a pris contact avec la biotech américaine en juillet dernier au moins, selon un document internet que Reuters a pu consulter.
L’Agence européenne du médicament a annoncé avoir entamé un examen accéléré du candidat vaccin élaboré par Moderna, un dispositif qui permet aux autorités de suivre en temps réel les données des essais cliniques des laboratoires et de d’évoquer avec eux le processus d’élaboration et les progrès des essais afin d’accélérer la procédure d’approbation.
Ce Français qui révolutionne les vaccins
Devenu milliardaire à 47 ans, Stéphane Bancel s’était dit capable, devant Donald Trump, de mettre au point un vaccin contre le Covid-19 en seulement quelques mois.
(Le Figaro) - Stéphane Bancel? Jusqu’au printemps dernier, personne - à part quelques initiés - n’en avait entendu parler. Aujourd’hui, ce Français de 47 ans, dont l’entreprise, Moderna, n’a encore jamais commercialisé de médicament, fait figure de sauveur potentiel de l’humanité. Son vaccin, dont les résultats préliminaires positifs viennent d’être publiés, pourrait bien être l’un des premiers à éliminer le Covid-19. «J’ai ressenti une émotion très forte quand j’ai appris la nouvelle, raconte Stéphane Bancel. Je me suis précipité pour le dire à mon épouse qui me soutient sans relâche depuis dix mois. C’est une sainte.»
Le sort de son vaccin a d’abord été scellé le 2 mars 2020 à la Maison-Blanche. Ce jour-là, Stéphane Bancel se retrouve au côté de patrons de grands laboratoires face à Donald Trump et Anthony Fauci, l’homme fort des vaccins à Washington. Avec son accent français, il assure à un Trump médusé, au nez et à la barbe des PDG des Big Pharma, qu’il ne lui faudra que quelques mois pour mettre au point son vaccin. Un soutien crucial qui assurera in fine à Moderna un financement d’un milliard de dollars, indispensable pour finaliser la R&D et démarrer la production.
C’est à Davos, la grand-messe des VIP de la politique et des affaires, quelques semaines auparavant, que Stéphane Bancel a la «révélation». Il s’entretient avec plusieurs épidémiologistes chinois qui lui prédisent l’épidémie mondiale à venir. Dès lors, sa conviction est forgée: il fonce à Washington pour présenter aux pontes de la FDA, l’autorité sanitaire américaine, un programme permettant d’avoir un vaccin à l’automne. «Ils m’ont pris pour un fou!», raconte-t-il. À partir de là, rien ne l’arrête. Moderna a su, en 42 jours, exploiter l’information génétique sur le Sars-CoV-2 publiée sur internet par la Chine. Depuis, le laboratoire créé en 2011 à Cambridge, près de Boston, a enchaîné les essais cliniques. Au point de pouvoir annoncer la distribution, en 2021, de 500 millions à 1 milliard de doses de vaccins.
La recherche médicale, un héritage familial
«Stéphane déteste voir passer un train sans sauter dedans, confie son frère Christophe, également patron d’une biotech, Tissium, cofondée avec des chercheurs du prestigieux Massachusetts Institute of Technology. S’il ne s’était pas lancé dans cette course, il n’aurait pas pu se regarder dans une glace. Il se sent investi d’une mission.»
Tout démarre en 2011 par un pari audacieux autour d’un mystérieux acronyme, l’ARN messager, qui donnera son nom à ModeRNA. Bancel a lâché son poste de DG de BioMérieux pour se lancer dans l’aventure. Ses proches ne s’étonnent pas de ce choix. «Il avait besoin d’un nouveau challenge», raconte l’un d’eux. Quand sa femme Brenda lui demande quelles sont ses chances de réussite, il répond «5 % maximum», ce qui n’empêche pas alors cette photographe américaine de l’encourager.
«Il a choisi une technologie prometteuse avant qu’elle n’ait fait ses preuves, raconte Alain Mérieux. Il a eu la vista. Il est très bon pour passer d’un concept scientifique à un business.» Le fondateur de BioMérieux connaît Stéphane Bancel depuis la fin des années 1990 lorsque celui-ci était coopérant dans sa filiale japonaise. Le patron du groupe lyonnais a été «frappé par l’intelligence et la niaque» du jeune homme qui «a très vite pigé l’importance d’avoir une vision planétaire lorsqu’il s’agit de virus et de bactéries». Il a d’ailleurs financé son MBA à Harvard et l’a réembauché des années plus tard, après un passage par le laboratoire américain Eli Lilly.
La recherche médicale, c’est un peu un héritage familial, résume son petit frère Christophe. Une enfance heureuse à Marseille, une mère médecin, un père ingénieur, des parents qui apprennent à leurs deux fils qu’«il faut avoir confiance en soi et se donner les moyens de ses choix et de ses ambitions grâce au travail». Rien d’étonnant si Stéphane n’hésite pas à prendre des risques en tant qu’entrepreneur. Pas très doué en lettres, probablement dyslexique au point de buter sur le nom de son vaccin («mRNA-1273»), il opte pour le génie chimique et biomoléculaire à Centrale puis à l’université du Minnesota. Mais cela ne lui suffit pas. Il apprend le japonais, prend des cours de génétique.
«Un sanglier»
Ses collaborateurs n’apprécient pas toujours ses méthodes. Certains ont quitté Moderna, trouvant son management trop «brutal». «C’est un très gros travailleur, se souvient Alain Mérieux. Quand il a fixé sa feuille de route, il est comme un sanglier. Rien ne l’arrête. C’est sa force. Mais quand un sanglier fonce, vous avez intérêt à vous écarter.» «Stéphane est très exigeant, il peut parfois donc être perçu comme dur ou froid», résume son frère. «Il a sans doute plus de sensibilité qu’il ne veut le laisser paraître», nuance Michel Baguenaude, directeur général de l’Institut Mérieux. Mais Stéphane Bancel assume. «Nous sommes en train de créer une nouvelle catégorie de médicaments pour améliorer la vie des patients, répond-il. Chaque jour compte.»
Ce bon communicant a su convaincre les investisseurs et les labos d’apporter des milliards de dollars au développement de ses douze vaccins en portefeuille. La société, dont la valeur a explosé en 2020, valait lundi à mi-séance 38,3 milliards de dollars en Bourse. Stéphane Bancel, qui en détient 9 %, a rejoint en début d’année le club des milliardaires.
Ce lève-tôt qui court à l’aube pour évacuer la pression ne dort plus beaucoup depuis le début de l’année. La mission qu’il s’est fixée en créant Moderna - sauver des millions de vies grâce à une technologie encore jamais utilisée - est devenue une course contre la montre. S’il arrive encore à «déconnecter en famille», passant souvent ses vacances en France, il reste peu de temps à ce fan de ski pour bouquiner et voir ses amis.
Et après 2020? Il est sans doute trop tôt pour penser à sa vie post-Covid. Son ami depuis quinze ans, Michel Baguenault, ne serait pourtant pas étonné que, «dans une troisième partie de sa vie, il se consacre à aider les autres, pourquoi pas via une fondation».