Leurs trois enfants font leur propre route tandis que des réfugiés aux parcours chaotiques atteignent le Luxembourg, à bout de souffle. Comme Joëlle a «toujours eu envie de faire quelque chose pour les réfugiés» et que pour Luc, «ce n'était pas un souci», le couple de Beckerich a accueilli sous son toit Ali, 19 ans, et Mohammad, 21 ans, tous deux réfugiés d'origine afghane.
Comme eux et grâce à l'initiative citoyenne «Open Home», qui fête sa première année d'efforts, 62 réfugiés vivent chez des familles au Luxembourg.
Lancée par trois Luxembourgeois aux cœurs plus grands que le gâteau d'anniversaire, Marianne Donven, Frédérique Buck et Pascal Clement, l'initiative OH! Oppent Haus - Open Home de son vrai nom - fête ce samedi son premier anniversaire dans les locaux de Hariko. Dans les têtes, le nuage gris d'un départ forcé de Luxembourg-Bonnevoie dans quelques mois ne masque même pas un rayon de la généreuse expérience de vie que sont venus partager familles et réfugiés.
En l'espace d'une année, 62 réfugiés ont pu être accueillis par une famille résidant au Luxembourg via l'intermédiaire d'« Open Home ». Des familles luxembourgeoises, mais aussi d'origines française, italienne ou allemande. Au total, «il y a 40 familles qui ont accueilli des personnes via «Open Home» et 5 familles qui nous dépannent parfois pour une urgence. Il faut y ajouter 8 autres familles qui accueillent des réfugiés chez elles, mais qui ne sont pas passées par nous», explique Marianne Donven.
Joëlle et Luc : «Sans hésiter»
«Ils sont vraiment gentils vous savez. Ils nous apprennent beaucoup de choses. Aujourd'hui, on peut dire qu'on vit ensemble comme une famille», glisse Mohammad d'une voix aussi douce que son cheveu est rebelle.
«Ils», ce sont Joëlle et Luc. Des parents qui ont osé le pas. L'idée a germé dans la tête de Joëlle dès l'afflux de la première vague de réfugiés sur le sol luxembourgeois en 2015. En avril 2017 s'est produit le déclic : «Par hasard, il y avait une réunion d'information d'Open Home dans le village. Quand j'ai vu ça, j'ai tout de suite dit : "C'est maintenant !" On en a parlé avec Luc, sachant que lui aime avoir ses moments de tranquillité, et ça s'est fait. Naturellement. On a d'abord rencontré Mohammad. Mais très rapidement, on s'est dit qu'il s’ennuierait seul à la maison. Alors on lui a proposé d'emmener un ami», raconte le plus simplement du monde Joëlle avec un sourire qui en dit long sur l'effet que cette double rencontre a produit en elle.
Mohammad et Ali, Afghans tous deux, et Joëlle et Luc se sont vus plusieurs fois avant de partager des week-ends et finalement de vivre sous le même toit. «Ils sont venus le 14 juillet», se souvient bien Joëlle. Avec son mari, elle est «contente d'avoir fait le pas» et recommencerait l'aventure «sans hésiter». Luc acquiesce à ses côtés. «Ils sont chez eux maintenant», glisse-t-il. Les deux jeunes hommes n'en perdent pas une miette. Ils comprennent déjà bien le français et savent se faire comprendre.
Evidemment, « tout n'a pas été rose », tempère Joëlle. Car « chacun a sa personnalité et ils ont leurs vécus. Il y a eu des adaptations à faire d'un côté comme de l'autre et de temps en temps, il y a des tensions ». Pour des histoires de jalousie fraternelle ou d'incompréhension culturelle souvent.
L'initiative citoyenne et ces familles qui « osent » bénéficient de la pleine reconnaissance de la ministre de la Famille et de l'Intégration, Corinne Cahen, et des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn. Tous deux sont passés ce samedi matin au Hariko pour remercier ceux qui sèment de si belles graines. Juste avant de prendre l'avion pour le Myanmar où se déroule actuellement « un génocide contre les Rohingyas », Jean Asselborn, col Mao décontracté à la place de la diplomatique cravate de soie, a tenu à souligner devant les demandeurs de protection internationale la part du défi que relèvent ces familles.
«Le gouvernement fait de son mieux, mais rien ne vaut une famille !»
«Redonner une chance à un réfugié en l'accueillant chez soi, dans sa famille, c'est quelque chose de très remarquable», glisse Jean Asselborn en s'adressant directement aux nombreuses familles venues fêter l'anniversaire. «Je crois que vous recevez beaucoup plus que vous ne donnez», glisse le ministre. Il appuie son message : «C'est très important pour notre société». Dans la grande pièce, si vivante d'ordinaire, plane un silence bienfaisant. Chacun digère les mots prononcés.
Le ministre parle encore du grand problème du logement au Luxembourg, de l'engagement quotidien des ONG et de l'Office luxembourgeois de l'accueil et de l'intégration (OLAI) et assure : «On fait de notre mieux au niveau du gouvernement. Mais rien ne vaut une famille !»
La pétillante Marianne Donven tente de libérer les gorges qui viennent de se serrer et lance : «Qui sait chanter ?» Rires étouffés. C'est là que Sharif, venu d'Afghanistan car il n'avait d'autre choix, vient se placer tout près du ministre des Affaires étrangères et, d'une voix sur le fil tendu de l'émotion, lâche : «Merci beaucoup au Luxembourg» en fixant Jean Asselborn. Le ministre changera définitivement de couleur quand l'humble Sharif expliquera que «pour lui et sa famille, c'est une nouvelle naissance» d'avoir trouvé un toit au Luxembourg chez une autre Marianne.
Pour s'adresser à l'initiative «Open Home» au Hariko à Bonnevoie (1, rue du Dernier Sol), il est possible d'envoyer un e-mail à openhomelu@gmail.com, de passer via le site Facebook d'«Open Home» ou de téléphoner directement à Marianne Donven au 621 559 562.
Maurice Fick (Luxemburger Wort)