Partager sur :

Face à « l’immigration incontrôlée », le Danemark offre des barbelés coupants à la Lituanie

Face à « l’immigration incontrôlée », le Danemark offre des barbelés coupants à la Lituanie

A Copenhague, le gouvernement social-démocrate, qui s’est fait élire en 2019 sur la promesse d’une politique migratoire ultrarestrictive, défend la construction de clôtures aux frontières de l’Europe.

(Le Monde) - Quinze kilomètres de fils barbelés. Voilà le généreux cadeau du Danemark à la Lituanie : une contribution certes modeste à l’échelle des 500 kilomètres de clôture que l’Etat balte est en train d’installer sur sa frontière avec la Biélorussie, pour empêcher les migrants d’entrer sur son territoire. Mais une contribution symbolique, de la part du royaume scandinave, dont la première ministre sociale-démocrate, Mette Frederiksen, en poste depuis 2019, s’est fixé comme objectif d’atteindre « zéro demandeur d’asile ».

Le 28 septembre, son ministre de l’immigration, Mattias Tesfaye – lui-même fils d’un réfugié éthiopien –, s’est rendu en Lituanie, pour rencontrer la ministre de l’intérieur, Agne Bilotaite. Il en a profité pour aller inspecter la clôture. Les barbelés envoyés par le Danemark ne sont pas des fils classiques, mais un modèle spécial, en accordéon, couvert de lames similaires à celles d’un rasoir, pouvant causer des blessures mortelles.

En 2015, ce sont ces mêmes barbelés que la Hongrie de Viktor Orban avait déployés à la hâte, face à la Serbie : un mur antimigrants alors fortement décrié en Europe. Six ans plus tard, Mattias Tesfaye a estimé sur la chaîne TV2 que les critiques contre Budapest n’étaient « pas correctes » et que, face à « l’immigration incontrôlée », la clôture était une solution « de bon sens ». Au passage, le ministre danois a remercié Vilnius de ses efforts pour « protéger les frontières de l’Europe et de l’OTAN ».

Indignation des ONG

Mattias Tesfaye n’en est pas à son premier coup d’éclat. C’est à sa demande que les services de l’immigration ont suspendu les titres de séjour de plusieurs centaines de réfugiés syriens ces derniers mois. Il est aussi à l’origine du projet de loi, voté au Parlement en juin, qui devrait permettre à Copenhague d’externaliser l’asile dans des pays tiers, en dehors de l’Europe – le Rwanda faisant figure de favori.

Au Danemark, son soutien à la construction du mur lituanien a suscité l’indignation des ONG. Amnesty International a accusé le gouvernement danois de faire preuve d’un « déni de la réalité » face à la crise migratoire actuelle. Le quotidien de gauche Politiken a dénoncé, de son côté, le cynisme du Danemark, qui « envoie 15 km de barbelés », quand « les migrants pris au piège meurent dans la forêt ».

Dans les rangs de la majorité de centre gauche, cependant, les opinions divergent. Alors que la Liste de l’unité (rouge et verte) s’est dite « profondément consternée », le parti social-libéral défend le principe d’un mur aux frontières de l’Europe : « Nous ne pouvons pas accueillir tous les gens du Moyen-Orient et d’Afrique qui veulent venir ici », a estimé Andreas Steenberg, un des responsables du parti.

En 2020, le Danemark a reçu 1 515 demandeurs d’asile et 1 017 autres depuis le début de l’année. Ces chiffres ne semblent pas émouvoir Mattias Tesfaye, qui a annoncé que Copenhague allait verser 33 millions de couronnes (4,4 millions d’euros) à la Turquie, pour l’aider à protéger ses frontières.

Anne-Françoise Hivert(Malmö (Suède), correspondante du Monde

Partager sur :