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Immigration et démographie : les fausses informations sur le « grand remplacement » refont surface

Immigration et démographie : les fausses informations sur le « grand remplacement » refont surface

Une étude publiée par France Stratégie il y a un an est actuellement partagée sur les réseaux sociaux par des relais d’extrême droite. Elle démontre selon eux la théorie du « grand remplacement ». Mais les chiffres mis en avant sont à mettre en perspective avec d’autres statistiques qui les démentent. C'est un rappel à la vérité de l'information proposé par le quotidien La Croix.

(La Croix) - La polémique sur la part de l’immigration dans la population française se réveille plusieurs fois par an. Cette fois-ci, c’est le média Causeur qui allume la mèche. Publié le 24 août, un article signé par un mystérieux Observatoire de l’immigration et de la démographie (qui se présente sur son site comme « un groupe de hauts fonctionnaires et de membres de la société civile ») explique que les enfants d’origine extra-européenne représentent 75 % des 0-18 ans à La Courneuve et 70 % à Aubervilliers.

À Paris, ils représentent plus de quatre enfants sur dix dans le 13e, le 18e, le 19e et le 20e arrondissement. Et sont plus de 40 % dans certains quartiers de Rennes, plus de 50 % dans certaines zones de Limoges.

Une étude publiée en juillet 2020 sur un tout autre sujet

Présenté comme la preuve de la thèse du « grand remplacement » promue par l’extrême droite, l’article est aussitôt très partagé sur les réseaux sociaux par ses militants. Le 25 août, Marine Le Pen le met en avant sur son compte Twitter avec le hashtag #ReveillezVous, très populaire chez les anti-passe sanitaire, en estimant que « ces cartes révélant l’installation exponentielle d’immigrés extra-européens doivent être connues et comprises par tous les Français ».

De quoi s’agit-il ? En fait de nouveauté, l’article exploite les chiffres de l’Insee de 1990 à 2017 dans 55 unités urbaines de 100 000 habitants, utilisés par France Stratégie dans une étude publiée en juillet 2020… sur un tout autre sujet. « C’est un travail qui portait sur la ségrégation résidentielle, c’est-à-dire la répartition plus ou moins inégale des différentes catégories de population (cadres et ouvriers, riches et pauvres, jeunes et vieux, immigrés et non immigrés) dans les différents quartiers », explique Pierre-Yves Cusset, coauteur de l’étude.

Des chiffres publics

En marge de sa publication, France Stratégie met à disposition des cartes zone par zone dans 55 aires urbaines qui font apparaître visuellement les différents résultats, dont la part de « personne âgée de 0 à 18 ans, immigrée d’origine extra-européenne », effectivement supérieure à 50 % dans certains quartiers où la ségrégation est très forte. « Les chiffres sont bons, ils n’ont d’ailleurs jamais été cachés, ils sont publics », reprend Pierre-Yves Cusset.

Toutefois,les statistiques sont moins spectaculaires si on élargit le spectre aux seules grandes villes. « Pour l’ensemble des unités urbaines de plus de 100 000 habitants, écrit ainsi l’étude de France Stratégie, la proportion d’immigrés d’origine extra-européenne parmi les 25-54 ans est passée de 9 % à 15 % entre 1990 et 2015. Parmi les moins de 18 ans, la part de ceux qui vivent avec au moins un parent immigré d’origine extra-européenne est passée, sur la même période, de 16 % à 26 % ».

Et, comme le précise une note de bas de page de l’étude, « à l’échelle nationale, la part des immigrés d’origine extra-européenne parmi les 25-54 ans est passée de 5 % à 9 % ; celle des 0-18 ans vivant avec au moins un parent immigré d’origine extra-européenne de 10 % à 16 % ». Ces statistiques corroborent donc une augmentation significative de la part des enfants d’origine extra-européenne, mais moins forte que ceux relatifs aux quartiers mis en avant par Causeur.

Une augmentation prévisible

« C’est effectivement une augmentation qui est connue et qui était même prévisible depuis plusieurs décennies, confirme Patrick Simon, socio-démographe à l’Institut national des études démographiques. Mais cette hausse n’est pas due à une croissance récente et spectaculaire de l’immigration, elle est liée à une dynamique démographique inscrite depuis le milieu des années 1970. En 1974, on arrête l’immigration de main-d’œuvre et à partir des années 1980, on a une immigration familiale, qui devient plus significative depuis la fin des années 1990. Ce qui aboutit logiquement à une hausse des enfants d’origine immigrée extra-européenne, comme cela a été le cas plusieurs décennies plus tôt pour les enfants d’origine portugaise, espagnole, italienne, polonaise. »

Toutefois, observe Patrick Simon, « plus de la moitié de l’augmentation des moins de 18 ans d’origine extra-européenne concerne des enfants ayant un seul parent immigré, qu’il s’agisse d’une famille monoparentale ou d’un couple mixte. » Pour le démographe, « cela signifie qu’on assiste à un élargissement des origines de la population. De plus en plus de Français ont un lien avec l’immigration sans forcément être immigré : par exemple quand votre enfant se marie avec un immigré ou un enfant d’immigré, vous ne devenez pas immigré mais votre famille a désormais un lien avec l’immigration. »

« C’est pourquoi la théorie du”grand remplacement’’, qui suppose de remplacer une population par une autre n’est pas juste, conclut-il. En réalité, il n’y a pas eux ou nous mais une diversification de la population comme il y en a à chaque vague d’immigration : eux, c’est nous. ».

 

Nathalie Birchem (La Croix)

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