Le Maroc, pays frontalier de l’Espagne, est l'une des grandes routes empruntées par les migrants subsahariens pour rejoindre l'Europe. Depuis quelques années les points de tensions migratoires se situent en Méditerranée, au niveau des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, mais après le réchauffement des relations bilatérales entre l’Espagne et le royaume chérifien, les migrants sont refoulés à l'intérieur des terres et vers les grandes villes. Un reportage de RFI.
(RFI) - À Casablanca, ils sont plusieurs milliers à être à la rue et à dormir à même le sol. Il y a presque un an, Moussa a quitté le Mali pour rejoindre l’Europe. En partant de Bamako, le jeune étudiant de 19 ans est passé par Gao au nord, puis il a traversé l’Algérie pour arriver à Oujda. Depuis quelques mois, il vit à Ouled Ziane, un quartier populaire au nord de Casablanca.
« Je n’avais pas prévu de me retrouver ici, explique Moussa, je voulais me rapprocher de Ceuta ou de Melilla comme la plupart de mes frères. » Comme lui, ils sont, selon les estimations de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), environ deux mille migrants maliens, burkinabés ou encore sénégalais amassés dans ce quartier populaire de la capitale économique marocaine. Leur campement se trouve sur les rails d’un tramway encore en construction, au milieu des quatre voies du périphérique.
« Je suis passé par le désert puis par les montagnes, raconte Moussa, on a marché pendant des semaines. » Pour arriver en Espagne, deux voies s’offrent à lui : passer par le royaume chérifien ou par la Tunisie. « C’était dur, confie-t-il, j’ai des amis qui sont morts en faisant tout pour voir le Maroc. » Mais une fois sur place, le jeune homme est surpris, « le premier jour où j’ai mis les pieds ici, j’ai pleuré en voyant mes frères vivre dans ces conditions. Je ne m’y attendais pas. Avant de venir, j’étais en contact avec deux amis. Ils m’ont dit que tout allait bien au Maroc et que je pouvais venir. Mais regardez comment on vit, on n’a rien », s’exclame-t-il en montrant les sacs poubelles tendus qui servent d’abris et qu’il doit couvrir de cartons, chaque soir, pour s’isoler tant bien que mal du froid.
Les tentes de fortunes installées par les migrants subsahariens de la Route d’Ouled Ziane sur le périphérique de Casablanca. © Nadia Ben Mahfoudah/RFI
Ibrahim a quant à lui quitté Ouagadougou laissant sa femme et ses deux enfants chez ses parents pour commencer son « aventure vers l’Europe ». C’était il y a deux ans et depuis quelques mois, il vit lui aussi à Ouled Ziane. « Avant j’étais au niveau du terrain vague près de la gare routière, raconte le jeune homme de 28 ans, mais la police nous a chassé sans nous dire où aller. Alors je me suis retrouvé ici, sur ces rails de tramway. »
Depuis avril 2022 et le changement de la position de l’Espagne sur son ancienne colonie du Sahara occidental (un territoire considéré « non-autonome » par l’ONU et revendiqué par le Maroc), les relations entre Madrid et Rabat se sont réchauffés. Les contrôles aux frontières se sont alors durcis, les migrants se voient chassés des villes côtières et sont refoulés vers l’intérieur du pays par les autorités marocaines. Certains se sont retrouvés à Casablanca dans les quartiers populaires.
« Dans un premier temps, il y avait un nombre limité de migrants subsahariens, explique Khadija Ainani, vice-présidente de l’AMDH, donc les migrants et la population marocaine défavorisée cohabitaient. On voyait même une solidarité entre eux ». Mais depuis un an, le nombre de migrants a subitement augmenté et les tensions avec les locaux sont devenus de plus en plus fréquentes. Le 10 février, six migrants ont d’ailleurs été condamnés à deux ans de prison ferme par le tribunal de Casablanca, suite à des échauffourées avec la police.
« On n’a pas choisi d’être ici »
« On est là pour passer, on n’est pas là pour rester, explique Ibrahim. On n’a pas choisi d’être ici. Quand on essaye de quitter Casablanca pour rejoindre les forêts aux alentours, on nous chasse. Quand on essaye d’économiser pour payer le train et rejoindre Tanger, on nous chasse aussi », confie-t-il d’une voix tremblante.
« Je me sens humilié, je ne veux pas parler de racisme, mais les gens ici ne nous respectent pas. Ils ne veulent pas de nous dans les magasins, dans les hamams, pire ils viennent jusque’à Ouled Ziane, pour nous filmer et nous insulter », poursuit-il avant de marquer une pause pour reprendre ses esprits et nous dire, d’une voix à nouveau calme : « L’essentiel, c’est qu’ils nous laissent atteindre la frontière. Mon objectif c’est d’aller à Ceuta et Melilla. » conclu Ibrahim en secouant la main pour signaler la fin de la discussion.
Pour Khadija Ainani, ces migrants sont comme pris en otage ici au Maroc. « Ils n’ont pas accès aux droits fondamentaux, ils ne peuvent même pas circuler librement, explique-t-elle, en tant qu’AMDH nous demandons que l’État marocain leur rende leur liberté de circulation, c’est un droit garanti par des conventions internationales dont le Maroc est signataire. »
Pour l’association, beaucoup de ces migrants sont des demandeurs d’asile potentiels. « Ils sont nombreux à venir de pays en confit, gangrénés par le despotisme ou encore par le terrorisme. C’est ce qui les poussent à partir, plus encore que les raisons économiques et sociales. » Contacté par RFI, le ministère de l’Intérieur marocain n’a pas répondu à nos sollicitations.
Nadia Ben Mahfoudh