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Les naissances le 1ᵉʳ janvier racontent une histoire de l’immigration en France

Les naissances le 1ᵉʳ janvier racontent une histoire de l’immigration en France

On les appelle les « zéro-un ». Leur histoire, racontée sur Twitter par un ancien journaliste de « Libération », rappelle comment de nombreux immigrés se sont vu attribuer une date de naissance par défaut. Le quotidien Le Monde en rend compte.

(Le Monde) - « Aujourd’hui, où des banlieues brûlent à nouveau, je voudrais parler des “zéro-un”. » Le 29 juin, deux jours après la mort de Nahel M., François Camé, ancien grand reporter à Libération, rappelle, dans une série de tweets, les destins brisés de l’immigration économique. Dans les années 1960, la France recourt en masse à l’immigration pour fournir de la main-d’œuvre à son industrie. « Renault, Peugeot, Citroën, Talbot : tous les grands groupes automobiles ont alors écumé le Maghreb, pour embaucher directement sur place », rappelle l’ancien journaliste.

Une fois sur place, les entreprises recevaient tous les candidats. Leur condition physique était scrutée et, si jugée satisfaisante, « finalement, on leur demandait leur date de naissance, explique François Camé. Bien souvent, il n’y avait pas d’état civil, au bled. Ils ne connaissaient que l’année. Ils l’indiquaient, penauds. “Mais quel jour ?”, insistait le médecin. Ils répétaient l’année. Alors le toubib, blasé, disait au secrétaire : “Bon, marque : zéro un, zéro un. Le 1er janvier de l’année indiquée. Et leurs papiers, pour toujours, portent cette date de naissance ». Dans d’autres cas, c’est le 31 décembre qui a été arbitrairement choisi.

Combien sont-ils ? Difficilement quantifiables à l’époque, les données désormais disponibles permettent de mesurer l’ampleur du phénomène des « zéro-un », qui ne concerne pas que les immigrés venus du Maghreb. La base de données des décès de l’Insee documente, à mesure que ces gens meurent, la place qu’ils ont occupée dans la population française.

Les données publiques confirment une surreprésentation

Si l’on s’en tient aux probabilités, les individus nés le 1er janvier et le 31 décembre devraient correspondre à 0,54 % des décès par an – soit ces deux jours divisés par les trois cent soixante-cinq d’une année. De ce fait, le groupe des « zéro-un » nés en France agit comme un groupe témoin : la part moyenne des décès de ces derniers entre 1980 et aujourd’hui s’élève à 0,59 % lorsque l’on se rapporte à l’ensemble des décès des personnes nées en France sur cette même période.

Mais si l’on regarde les décès en France de personnes nées à l’étranger, le phénomène devient visible.

Nombre total de "zéro-un" par pays depuis 1994

Pays de naissance Nombre Pourcentage

Pays de naissance

Nombre

Pourcentage

France 81835 0,56%
Maroc 18112 16,21%
Algérie 7838 2,02%
Turquie 2217 7,90%
Tunisie 1458 1,18%

Ainsi, on observe une forte hausse de la mortalité des individus nés les 31 décembre et 1er janvier originaires du Maroc et de la Turquie dès l’année 1990. Il est à noter que la part de « zéro-un » nés au Maroc morts en 1990 est très élevée, mais que ce résultat ne peut être pris en compte étant donné le très faible nombre de personnes nées au Maroc et mortes en France renseignées dans les fichiers cette année-là. C’est à partir de 1994 que les données du fichier des décès de l’INSEE concernant le pays de naissance des individus se précisent, grâce à des valeurs brutes plus conséquentes.

En 2010, les « zéro-un » représentent ainsi près de 22 % des décès parmi les personnes nées au Maroc, 10,5 % pour celles nées en Turquie. Avec une moyenne de 3 %, la part d’Algériens « zéro-un » morts cette dernière décennie est plus en retrait, mais reste supérieure aux taux de « zéro-un » tunisien (autour de 1 %).

Selon l’Insee, « on constate bien (…) que les personnes nées le 1er janvier ou le 31 décembre sont surreprésentées au regard de la probabilité qu’il y a de naître ces jours-là. C’est un phénomène bien connu de l’Insee et de tous les organismes sociaux ».

Noé Amsallem (Le Monde)

 

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