Dans un second degré décapant, l'artiste algérien Salim Zerrouki met à nu des clichés tirés de la vie quotidienne de la société arabe. Code de la route, mariage, travail, sport... Tout y passe. C'est "100 % bled". Frida Dahmani, la correspondante en Tunisie de Jeune Afrique, porte son regard sur cette bd particulière.
« Enfant à qui on aurait donné les moyens », Salim Zerrouki doit beaucoup à son talent. Avec des couleurs sobres ainsi qu’un trait simple et précis qui mettent en valeur un texte aussi désopilant que cinglant, il croque dans « 100 % bled » les paradoxes des Arabes et leur manière de se tirer parfois une balle dans le pied. « On se lamente toujours sur nos malheurs qui viennent de l’Occident, on ne se remet jamais en question », résume le bédéiste algérien qui vit en Tunisie depuis de nombreuses années et est connu pour ses blogs : « Yahia Boulahia » et « Tahricha ».
La BD, dont le titre complet est « 100% bled, comment se débarrasser de nous pour un monde meilleur », fait fureur dans le Salon du livre de Paris et sera présente à la foire du livre de Tunis à partir du 6 avril. L’idée est née pendant le Festival International de Publicité à Cannes en 2015, où Salim prend la mesure du fossé qui « sépare nos deux civilisations. C’est là que je me suis dis : comme ils seraient bien sans nous, les Arabes – Arabe étant la désignation donnée par les colons aux autochtones du Maghreb -. » Une affirmation qu’un non-Maghrébin n’aurait pu tenir sans être voué aux gémonies.
Mais au-delà de la provocation, Salim Zerrouki est sur le mode d’une raillerie caustique largement répandue au Maghreb, qui tient à la fois du comique et du bon sens. « Personne ne pourra me dire que ce que je dis est faux. Je suis Maghrébin, je vis ça au quotidien. » En 54 planches, celui qui fait carrière dans l’illustration croque les travers d’une société et les paradoxes quotidiens des individus, face à des choix existentiels. « Le sujet est délicat, il fallait l’expliquer et le défendre car il ne s’agit en aucun cas d’une incitation à éliminer les Arabes », précise l’auteur, ravi du succès de la présentation parisienne. "Je ne dis rien que l’on ne dise pas déjà entre nous », souligne Salim Zerrouki
Dérision sur fond de vérité
« La planche sur la mixité conclut à la mort par des Arabes « hchouma » (honte) ; il ne s’agit pas d’appel à se débarrasser des Arabes ; je suggère l’immense honte qu’il y a à avoir certaines prises de position », explique Salim Zerrouki, fan de l’humoriste Fellag et du caricaturiste Dilem. Il reconnaît néanmoins que « certaines personnes prendront certainement mal « 100% bled », mais finalement je ne dis rien que l’on ne dise pas déjà entre nous ».
Zerrouki grossit les traits, joue des ficelles du comique, fait de l’humour au second degré, mais le fond de chaque planche est une vérité. Amour, mariage, sexe, Afrique, code de la route, sport, travail, mosquée, corruption… Le quotidien des Maghrébins est lu à l’aune d’une dérision empreinte de verve et de truculence sur fond de tendresse.
« Cela amusera les lecteurs mais ce serait mieux que cela amène aussi à réfléchir ou au moins à en parler », conclut l’auteur qui sait que « le Maghreb ne sera jamais la Scandinavie mais on pourrait trouver un juste milieu » ; un espace de vie pour tous plus cohérent et conséquent où l’on pourrait ne pas rire jaune.
La BD ne raconte pas une histoire. C’est une suite de scénettes décrivant très subjectivement la vie quotidienne, du plus sérieux au plus léger: le mariage, le travail, la voiture, le ramadan, les cafés… Et c’est violent. Des exemples? Sur le travail: «Si vous voulez tuer un Arabe, faites le travailler»… Sur le ramadan: «Déjà qu’on est fainéant, mais pendant ramadan on se surpasse.»
Salim Zerrouki prévient tout de suite «l’autodérision, c’est une seconde nature chez nous», nous dit-il avec une voix aussi douce que son crayon peut être grinçant. Ces histoires qui font le contenu de la BD, «ce sont les discussions qu’on peut avoir au café entre nous».
Une autodérision qu’il qualifie souvent d’humour noir, un humour très algérien, celui que l’on trouve chez Fellag ou Dilem. Cet humour, c’est celui «qui nous a permis de tenir pendant la décennie noire» (1991-2002), qui a profondément touché les Algériens. Zerrouki se souvient de ces années-là: «J’avais 13 ans à l’époque, c’était école-maison, couvre-feu, alertes à la bombe…», raconte-t-il.