Restitution du patrimoine africain, fin du franc CFA, lutte contre le terrorisme, relations entre la France et l'Afrique : le Président de la République a répondu aux questions de Benjamin Roger et de Marwane Ben Yahmed pour Jeune Afrique.
Comme vos prédécesseurs, vous avez annoncé vouloir refonder les relations entre la France et l’Afrique. Près de trois ans après le discours que vous avez prononcé à Ouagadougou, qu’est-ce qui a concrètement changé ?
J’ai lancé plusieurs chantiers. Le premier était un tabou : la restitution du patrimoine africain. Nous avons fait des gestes très concrets à l’égard du Sénégal, du Bénin ou de Madagascar notamment.
Mais surtout un texte de loi qui, pour la première fois, permet non pas simplement de transférer momentanément une œuvre mais de la restituer, et cela grâce au travail intellectuel, artistique et politique profond demandé à Bénédicte Savoye et Felwine Sarr. Les générations contemporaines africaines ont besoin de comprendre, de toucher, de posséder leur histoire, de se la réapproprier. Le rapport Sarr-Savoye a été extrêmement ambitieux, et il a ouvert beaucoup de débats partout en Europe et dans le monde. Ils ont fait un travail remarquable, qui nous a permis d’avancer.
Le deuxième était la fin du franc CFA. Cette réforme importante, conclue par un accord signé lors de mon dernier voyage en Côte d’Ivoire, met fin à un marqueur très symbolique qui alimentait beaucoup de fantasmes et de critiques. Nous voulons également impulser une nouvelle dynamique dans la relation économique qui unit la France et le continent, à travers la plateforme Digital Africa, mais aussi grâce au sommet des financements pour l’Afrique que nous organiserons en mai, à Paris.
Voilà quelques exemples très concrets de mesures inédites, de tabous de la relation entre la France et le continent africain que nous avons levés, qu’ils soient mémoriels, économiques, culturels, entreprenariaux. Ils incarnent ce que nous souhaitons mettre en place : une relation équitable et un véritable partenariat. La saison Africa 2020, portée avec talent par la commissaire générale N’Goné Fall, en est sans doute le meilleur exemple.
Nous avons en parallèle procédé à un changement de méthode. Le discours de Ouaga a été largement conçu par le Conseil présidentiel pour l’Afrique, qui regroupe des gens aux profils très différents. Nous avons aussi mené tout un travail avec les diasporas et nous sommes allés dans des pays qu’aucun président français n’avait visités. Notre diplomatie n’a pas été cantonnée à l’Afrique francophone.
Le sommet Afrique-France aura-t-il enfin lieu dans les mois à venir ?
Il devrait se tenir en juillet 2021 à Montpellier et illustrera ce changement de méthode. Nous n’allons pas organiser un sommet classique, en invitant des chefs d’État. Notre objectif est de mettre en avant les personnes qui incarnent le renouvellement générationnel, y compris sur le plan politique. Parce que s’il y a un point difficile, c’est bien le renouvellement démocratique. Certains pays se sont pliés à une alternance régulière, d’autres non.
Le sentiment anti-français se développe au sein des pays francophones. Comment l’expliquez-vous ?
Pendant des décennies, nous avons entretenu avec l’Afrique une relation très institutionnelle, en passant par les chefs d’État en fonction et par des entreprises bien installées. Ce faisant, le ressentiment a pris une certaine place.
Mais il y a également une stratégie à l’œuvre, menée parfois par des dirigeants africains, mais surtout par des puissances étrangères, comme la Russie ou la Turquie, qui jouent sur le ressentiment post-colonial. Il ne faut pas être naïf sur ce sujet : beaucoup de ceux qui donnent de la voix, qui font des vidéos, qui sont présents dans les médias francophones sont stipendiés par la Russie ou la Turquie.
Je pense qu’entre la France et l’Afrique, ce doit être une histoire d’amour. Notre pays a été présent sur le continent à la fois à travers le commerce triangulaire, des conflits dès le début du XIXe siècle puis des guerres coloniales. Cette histoire est là. Nous en sommes les héritiers. En avons-nous été les acteurs ? Non. Cette histoire a-t-elle été reconnue ? Oui, même s’il y a encore un travail historiographique en cours. Mais nous ne devons pas rester prisonnier de notre passé. Ce serait terrible.
Moi, j’ai toujours eu un discours de vérité, pleinement assumé, à l’égard de cette histoire. Partout où la France a été présente, elle s’est mêlée. Elle a aussi été le pays de la créolisation, du métissage, des mariages mixtes. Un pays où les aventures humaines ont été permises. D’autres ont été présents sous une forme coloniale en Afrique et ne se sont jamais mélangés. Qu’on le veuille ou non, la France a une part d’Afrique en elle. Nos destins sont liés.
Vos propos récents sur les caricatures du Prophète, au nom de la défense de la liberté d’expression, ont provoqué une vive émotion au Sahel et au Maghreb. Le regrettez-vous ?
Je regrette qu’on ait déformé mes propos. Je respecte chaque religion. Si vous lisez mes discours, vous verrez que j’ai été constant en la matière. Mais lorsque j’ai décidé, dès le début de mon quinquennat, de m’attaquer à l’islam radical, mes propos ont été déformés. Par les Frères musulmans, assez largement, mais aussi par la Turquie, avec une capacité à influer sur beaucoup d’opinions publiques, y compris en Afrique subsaharienne.
Je ne m’attaque pas à l’islam, je m’attaque au terrorisme islamiste, sachant que plus de 80 % des victimes d’attentats terroristes islamistes dans le monde sont des musulmans. Quand j’ai rendu hommage à Samuel Paty [assassiné le 16 octobre], j’ai dit que nous défendrons ce qui est un droit : celui de blasphémer et de caricaturer sur notre sol. Je n’ai pas dit que je soutenais les caricatures.
Je vous invite en outre à vous interroger sur la réaction de la communauté internationale sur ce sujet : en janvier 2015, quand les journalistes de Charlie Hebdo étaient assassinés au nom d’Allah, des dirigeants musulmans sont venus défiler dans nos rues. Et aujourd’hui, alors qu’un professeur a été décapité parce qu’il enseignait la liberté d’expression, il faudrait s’excuser ? Le monde devient fou. Je ne céderai rien à ces gens-là.
Vous êtes allé plus loin que vos prédécesseurs en qualifiant la colonisation française de crime contre l’humanité. Comment faire pour solder ce passé douloureux et enfin reconstruire une relation apaisée avec les nouvelles générations africaines ?
Pour construire une relation apaisée avec les nouvelles générations, il faut n’avoir aucun tabou. Les tabous nourrissent une forme de paranoïa et un ressentiment très fort contre la France. Aujourd’hui, il y a des régimes étrangers et des projets politico-religieux qui utilisent le fait colonial comme un des leviers contre la France, y compris au sein de générations qui n’ont jamais connu le colonialisme. Il nous faut regarder cette période de l’histoire en face, de manière décomplexée mais avec un souci de vérité, pour ne pas donner de grain à moudre à ces gens. Ne cachons rien et avançons.
Si l’on veut changer le regard de l’Afrique sur la France, si l’on veut réussir économiquement, culturellement en Afrique, continent qui est pour moi notre avenir, nos diasporas sont une chance. C’est une réalité.
Donc si nous parvenons à instaurer ce rapport décomplexé à l’histoire, si l’on arrive à être beaucoup plus fort dans une politique d’égalité des chances et de lutte contre les discriminations, et que l’on érige nos diasporas en fer de lance d’une ambition à l’international, qu’elle soit culturelle, économique ou autre, je pense que nous aurons plus de chances que la jeunesse de notre pays soit heureuse. On s’enferme dans le passé quand on est malheureux dans le présent.