Présenté en sélection officielle du Festival de Cannes, “Sofia”, le premier long-métrage de la franco-marocaine Meryem Benm’Barek, a connu un succès auprès des spectateurs.
Le public de la croisette est venu hier en nombre pour découvrir le film marocain "Sofia". De sa réalisatrice Meryem Benm’Barek, l'ouvrage a été particulièrement accueilli et a eu droit à une superbe ovation.
Le début de l’histoire est tragique, mais simple à raconter : à Casablanca, une jeune femme de 20 ans découvre au dernier moment qu’elle est enceinte et, à défaut de connaître le père, doit accoucher dans l’illégalité. « Sofia », présenté en sélection officielle du Festival de Cannes, est un portrait du Maroc contemporain. La réalisatrice Meryem Benm’Barek a réussi à éviter toute caricature de son pays. Tout en douceur sur la forme, ce premier long métrage s’avère être radical et très courageux concernant la façon d’aborder des sujets sensibles : l’interdiction de relations sexuelles hors mariage, la fracture sociale entre les riches et les pauvres, l’enfermement des femmes et des hommes dans des rôles prédéfinis et peu compatibles avec la société d’aujourd’hui. Entretien.
Le film dépeint d'un regard critique deux réalités crues, faisant toute la lumière sur la pression subie par une mère célibataire dans une société à domination masculine, tout en mettant à nu le gap social qui ne cesse de se creuser entre les couches riches et pauvres.
A l'affiche, des figures 5 étoiles du grand écran. On cite Sara Elmhamdi Elalaoui, Sarah Perles, Hamza Khafif, la Belge Lubna Azabal, Faouzi Bensaidi,, Nadia Niazi et Raouia.
"Sofia" concourt aux côté de 17 autres films dans la catégorie "Un certain regard", parmi lesquels six sont en lice pour la Caméra d’or du premier film. Le jury chapôté par le comédien Benicio Del Toro, délivrera son palmarès le 19 mai lors de la cérémonie de clôture du Festival de Cannes.
Interview de Meryem Benm'Barek par Radio France Internationale
RFI : Avez-vous rencontré personnellement un cas comme celui de Sofia dans votre film ?
Meryem Benm’Barek : Oui, j’ai rencontré plusieurs cas comme celui de Sofia. L’histoire que je raconte dans mon film est au final assez connue pour les Marocains. C’est une histoire comme en vivent beaucoup de jeunes femmes au Maroc. 150 femmes accouchent hors mariage chaque jour dans le pays.
L’article 490 du Code pénal marocain affiché au début du film se trouve donc au centre de la société marocaine ?
Tout à fait. Tous les Marocains savent que toutes les relations en dehors du mariage sont punies par la loi.
Le film commence avec le déni de grossesse de Sofia. Etait-ce pour vous un prétexte pour dénoncer un déni plus général de la société marocaine dans beaucoup de domaines ?
Pour moi, le déni de grossesse était déjà un moyen de commencer par un élément déclencheur fort. J’avais besoin de cela parce que le film démarre comme un thriller social. Le déni de grossesse semblait assez justifié par rapport à ce que je raconte dans le film. D’une manière inconsciente, le déni de Sofia représente le déni de certaines problématiques auxquelles les Marocains doivent faire face.
La jeune fille Sofia est victime, néanmoins, elle n’est pas uniquement victime, mais aussi bourreau. C’est une figure féminine assez rare dans le cinéma, surtout après l’affaire Weinstein où tout le monde cherche à montrer les femmes comme de victimes. Pourquoi ce choix ?
J’ai écrit ce film justement parce qu’il me manquait quelque chose dans la représentation faite des héroïnes du monde arabe. Souvent on les représente comme des victimes de tout un système patriarcal. Je ne nie pas la place du patriarcat dans les institutions comme la justice, la santé, l’éducation, etc., mais j’avais envie de dépasser cette réflexion et d’inscrire les questionnements liés aux femmes arabes dans un contexte social et économique très précis. Je mets face à face deux personnages complètement différents qui viennent de deux milieux totalement différents : Sofia vient de la classe moyenne et sa famille essaie de se hisser au rang des plus privilégiés. Face à elle, il y a sa cousine et sa famille qui viennent d’un milieu plus privilégié. Si ce déni de grossesse en dehors du mariage était arrivé à Lena, la cousine, la situation et le parcours du personnage n’auraient pas du tout été le même.