Le nombre de demandes d'asile déposées auprès de l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et des apatrides) a progressé de 17% l'an dernier et franchit ainsi un seuil, pour atteindre le chiffre de 100.412. Les Albanais constituent la nationalité la plus fréquente en 2017.
Le chiffre annoncé par l'OFPRA correspond uniquement aux dossiers enregistrés et n'inclut donc pas les réfugiés qui ont rejoint la France l'an dernier mais n'ont pas encore déposé de demande d'asile.
Pour Pascal Brice, le directeur général de l'Ofpra, il s'agit là d'une hausse "soutenue", mais pas d'"un afflux massif". Toutefois, ce niveau "historique" [...] "confirme que la France figure dans les tout premiers pays de la demande d'asile en Europe". Elle se situe notamment derrière l'Allemagne, qui s'attend à un peu moins de 200.000 dossiers en 2018.
Les principaux pays d’origine de la demande d’asile en 2017 sont l’Albanie (7 630 demandes), l’Afghanistan (5 987), Haïti (4 934), le Soudan (4 486), la Guinée (3 780) et la Syrie (3 249). On note au cours de cette année 2017 une progression notable de la demande en provenance de pays d’Afrique de l’Ouest comme la Côte d’Ivoire et la Guinée.
En 2017, près de 43 000 personnes ont été placées sous la protection de l’OFPRA aux titres du statut de réfugié et de la protection subsidiaire, en hausse de 17 % par rapport à 2016.
En 2017, le taux de protection (les demandes ayant reçu une réponse positive) s’établit à 27 % à l’OFPRA et monte à 36% si l'on prend en compte les décisions d'appel de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Selon l'Ofpra, la légère baisse par rapport au taux de protection de 28,8% en 2016 s'explique par le nombre plus important de demandes émanant de pays à faible taux de protection. Ce dernier varie en effet très fortement selon la situation de l'Etat d'origine. Il est en effet de 2,8% pour Haïti et de 6,5% pour l'Albanie, mais monte à 59,6% pour le Soudan, 83,1% pour l'Afghanistan et 95,2% pour la Syrie. Autrement dit le nombre de demandeurs d'asile en provenance de l'Albanie est en hausse. Mais ce pays figure sur la liste des pays dits "sûrs" et qui ne justifient donc pas une demande d'asile, contrairement à la Syrie par exemple.
Leur pays n'est pas en guerre mais les ressortissants albanais sont parmi les principaux demandeurs d'asile en France, en 2017, comme l'année précédente. Comment expliquer cet afflux d'Albanais ? « C'est difficile à expliquer, commente le directeur général de l'Ofpra. Quelques cas relèvent du droit d'asile - vendettas (vengeances par le sang), femmes victimes de violence...- mais l'essentiel est lié à la misère économique ». Cette dernière cause ne figure pas dans les critères d'éligibilité du droit d'asile (protection accordée en cas de « persécution en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou pour ses opinions politiques » ou encore, subsidiairement, « de son action en faveur de la liberté » ou de menaces graves liées à un conflit armé interne ou international). D'où le faible taux de réponses favorables.
Une attention particulière pour certains publics
Dans son communiqué, l'Ofpra indique avoir porté une attention plus particulière à certains publics : les femmes victimes de violences, les personnes persécutées en raison de leur orientation sexuelle, les victimes de la traite des êtres humains, les mineurs isolés et les victimes de la torture, "singulièrement dans le contexte des parcours douloureux des demandeurs en Libye". Plus de 6.000 petites filles et jeunes femmes sont ainsi désormais placées sous la protection de l'Ofpra contre le risque de mutilations sexuelles (+14% par rapport à 2016).
Des délais d'attente divisés par plus de deux en un an
Du côté du fonctionnement, les réformes introduites notamment par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme de l'asile (voir notre article ci-dessous du 22 décembre 2015) et les moyens supplémentaires alloués à l'Ofpra ont fait sentir leurs effets en 2017. Plus de 115.000 décisions ont en effet été prises durant cette année, soit une hausse de près de 30% par rapport à 2016, "ce qui constitue un record historique depuis que la quasi-totalité des demandeurs d'asile ont droit à un entretien".
Conséquence : le délai moyen d'attente pour les demandeurs est tombé à près de trois mois (114 jours), contre 7,4 mois (226 jours) en 2016. Et l'Ofpra "poursuit ses efforts pour atteindre en 2018 l'objectif des deux mois [...], dans le strict respect des droits de chaque demandeur, en veillant à l'expertise des officiers de protection et à la qualité de l'accompagnement des demandeurs d'asile par le monde associatif et les travailleurs sociaux".
Pour cela, l'Ofpra a amplifié ses actions de protection hors de son siège, en menant 55 missions d'instruction temporaires (34 en France et 21 à l'étranger). Une présence permanente a ainsi été organisée à Lyon, Metz et Cayenne (avec également une mission d'instruction à Mayotte), tandis que des missions ont été régulièrement mises sur pied en métropole (Besançon, Bordeaux, Caen, Lille, Nantes, Nice, Rennes, Pau et Perpignan).
Des missions hors des frontières
Par ailleurs, l'Ofpra indique avoir organisé huit nouvelles missions en Europe, en Grèce jusqu'en septembre 2017 et en Italie pour la première fois en novembre 2017. Celles-ci ont permis d'entendre 2.389 personnes dans le cadre de la procédure de relocalisation (Dublin III). L'office a également poursuivi ses missions avec le HCR (13 missions) au bénéfice de réfugiés syriens en Turquie et au Liban (4.221 personnes entendues) et, depuis les mois d'octobre et novembre, au Tchad (230 personnes entendues) et au Niger (72 personnes dont les 25 premiers évacués de Libye par le HCR).
Dans une interview au Journal du Dimanche, le 17 décembre 2017, Pascal Brice affirmait : "Sur l'asile nous devons être totalement irréprochables. Des progrès ont été réalisés. Mais il reste encore des difficultés sérieuses, du point de vue de l'accueil et de l'hébergement, en différents points du territoire, qui doivent être résolues."
Pourquoi les Albanais sont-ils les plus nombreux ?
Selon les derniers rapports de l'Ofpra, les demandeurs albanais invoquent essentiellement des violences conjugales, des litiges familiaux, des vendettas (loi du Kanun) et des problèmes avec des réseaux criminels mafieux. Un fait nouveau est l’émergence d’une demande pour motifs ethniques émanant de Roms d’Albanie.
Concernant le phénomène du Kanun (coutume de vendetta ancestrale très enracinée dans le nord du pays), si aucun chiffre officiel ne permet d’en quantifier l’ampleur en Albanie, des observateurs affirment que le nombre de crimes d’honneur sont en augmentation et que l’on compte chaque année bien plus qu’une centaine de meurtres en Albanie. Les autorités albanaises, notamment la police locale, se montrent pourtant impuissante face à la tradition du Kanun.
Aucun chiffre ne permet non plus de quantifier les demandes de ressortissants albanais qui, en France, se basent sur des vengeances fondées sur le Kanun.
La demande basée sur une vengeance fondée sur le Kanun ne peut aboutir que si les faits sont relatés avec beaucoup de précision, particulièrement l'origine et les circonstances ayant présidé à l'ouverture de la vendetta. L’examen de cette vraisemblance reposera d’abord sur les déclarations du demandeur, mais également sur les informations recueillies par l’instructeur sur l’actualité du phénomène du Kanun dans la région d’origine et sur le vécu des personnes qui se sont trouvées dans des situations similaires dans ce pays tout autant que sur la production de preuves (certificat de décès, articles de presse, témoignages susceptibles de rendre crédibles les menaces alléguées, etc.). Les demandes de victimes du Kanun ne relevant pas de la Convention de Genève, ils ne peuvent prétendre qu’à la protection subsidiaire.