Une faille géante qui coupe l'Afrique en deux est apparue voici quelques mois. Large de plus de 20 mètres, profonde d’une quinzaine de mètres par endroits, et s’étend déjà sur plusieurs kilomètres.
Un phénomène géologique est en train de diviser le continent africain en deux, au niveau de la vallée du grand Rift qui traverse les pays du sud-est de l’Afrique. Les scientifiques s’y attendent depuis des années. Mais une nouvelle faille découverte au Kenya laisse à penser que les choses s’accélèrent.
C’est une immense faille de plusieurs centaines de mètres de long dont les photos ont fait le tour de la planète. Cette grande « cassure » est apparue au sud-ouest du Kenya, dans la région de Narok, en fin de semaine dernière. Mesurant quelque 15 mètres de profondeur, elle a coupé la route commerciale de Mai Mahiu-Narok. Des images impressionnantes qui ont amené nombre de médias, notamment anglo-saxons, à parler de cet événement comme un signe annonciateur de la future séparation du continent en deux.
Ce n’est pas la première fois que la terre s’ouvre ainsi en Afrique de l’est, mais pour les populations locales et les scientifiques qui surveillent cette faille sismique, le phénomène est exceptionnel par son ampleur. Au Kenya, l’habitant d’un village situé près de Nairobi a vu sa maison disparaître au fond de la brèche qui a également coupé en deux une autoroute voisine.
Le 16 mars dernier déjà, les pluies torrentielles, qui s’étaient abattues dans la région, avaient entraîné d’impressionnants glissements de terrains. Elles ont également causé d’importants affaissements de routes dans le pays. La route très fréquentée de Mai Mahiu-Narok, située dans le Sud du pays, à quelques kilomètres de la capitale Nairobi, a notamment été la plus endommagée. Sous les yeux d’automobilistes médusés, une impressionnante faille de 15 m de profondeur et 20 m de large s’est créée avalant toute l’eau boueuse. Autour de cette route, les plaines fertiles et les terres arables ont brutalement vu apparaître des fissures aussi.
Cette région est située dans la vallée du grand Rift, qui traverse le continent depuis la Corne de l’Afrique jusqu’au Mozambique. La zone s’est considérablement fragilisée depuis des années. Elle a subi de nombreuses secousses sismiques et de nombreux glissements de terrains à cause d’une puissante activité géologique connue depuis longtemps des géologues internationaux.
Un nouveau continent dans 50 millions d’années
« Les scientifiques savent depuis plusieurs années déjà que la plaque tectonique africaine se sépare de la plaque somalienne au niveau de la vallée du grand Rift, un phénomène géologique qui s’étend de la mer Rouge au Zambèze, sur plus de 6 000 km et 40 à 60 km de largeur », confirme David Adede, un géologue cité par le journal britannique, The Independent.
Quatre pays de la Corne d’Afrique – la Somalie, la moitié de l’Éthiopie, du Kenya et de la Tanzanie – devraient ainsi se séparer de l’Afrique pour former un nouveau continent dans environ 50 millions d’années. Un nouvel océan apparaîtra et séparera les deux rives. C’est en tout cas ce qu’ont toujours prévu les géologues.
« L’instant zéro de l’ouverture d’un océan en 2005 »
En septembre 2005, une fissure géante s’était déjà ouverte dans la croûte terrestre au nord de l’Afar, une zone désertique située à une centaine de kilomètres au sud de la frontière entre l’Éthiopie et l’Érythrée. Elle s’étend sur près de 60 km de long, entre 2 et 12 km de profondeur et son écartement est d’environ 5 mètres. On estime qu’environ 2 km³ de magma basaltique se sont injectés dans cette fissure.
Cette gigantesque lézarde s’est produite en même temps que toute une série de séismes et une éruption sur le flanc du Dabbahu, un volcan qui culmine à 1 442 m. Depuis, une dizaine d’autres fissures plus modestes se sont ouvertes au sud. « Cet épisode d’ouverture de l’automne 2005 marque sans doute l’instant zéro de l’ouverture d’un océan dans cette partie du monde », estimait Éric Jacques, directeur adjoint de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), interrogé par Le Figaro en 2009.
Selon ce physicien, « dans un million d’années, la dépression de l’Afar se sera ouverte de 30 km supplémentaires », mais il reconnaît que « l’on ne connaît pas encore toute la plomberie » souterraine de cette région du monde dont l’instabilité politique n’aide pas non plus les géologues à travailler longuement sur place. D’où la difficulté à se projeter et prévenir les populations locales d’un éventuel danger.
« Vivre ici, c’est courtiser la mort »
« Dans un passé récent, la vallée du Rift, elle, est peut-être restée inactive sur le plan tectonique, indique encore David Adede dans The Independent. Mais il pourrait y avoir des mouvements profonds dans la croûte terrestre qui ont donné lieu à des zones de faiblesse qui s’étendent jusqu’à la surface. Ces zones de faiblesse forment des lignes de failles et des fissures qui sont normalement remplies de cendres volcaniques, probablement du mont Longonot voisin. Les pluies n’ont fait qu’aggraver la situation en lavant les cendres, ce qui a fini par exposer les fissures. »
Régulièrement des habitants déménagent, selon le journal kenyan du Daily Nation. Les témoignages collectés font état de fissures soudaines dans le sol qui détruisent des logements. « Rester vivre ici, c’est courtiser la mort », estime Mary Wambui, 72 ans qui raconte que lundi, elle dînait avec le reste de sa famille lorsque la terre s’est soudainement fissurée sous leurs pieds, coupant leur maison en deux…
Certes, le processus devrait encore prendre quelques dizaines de millions d’années avant qu’un nouvel océan ne divise le continent en deux parties. Mais, localement, la crainte que le phénomène ne s’accélère, est très vive. Des études géologiques complémentaires doivent être menées sur place pour le vérifier et tenter de cartographier les failles qui posent de sérieux problèmes de sécurité : routes, lignes de chemin de fer, ponts, immeubles peuvent évidemment se trouver sur l’une d’entre elles. Régulièrement, des travaux de réparation sont entrepris. Les ravines sont remplies de roches et béton. « Mais c’est comme mettre un pansement sur une jambe de bois », se désolent des habitants fatalistes qui redoutent que la catastrophe naturelle ne survienne plus tôt que prévue.