Consulté par « Le Monde », un rapport commandé par la mairie de Paris apporte des précisions sur les enfants des rues d'origine marocaine errant dans le quartier de la Goutte-d'Or.
C'est un phénomène auquel les autorités sont confrontées depuis un peu plus d'un an : l'arrivée de mineurs isolés, toxicomanes, qui refusent toute prise en charge. La situation s'est dégradée ces dernières semaines avec des agressions de plus en plus violentes dans le quartier de la Goutte d'Or.
Depuis un peu plus d'un an, ces enfants arrivent à la Goutte d'Or. Des Marocains pour beaucoup, entre 8 et 17 ans pour la plupart, majoritairement des garçons mais depuis quelques semaines des filles aussi s'installent dans le quartier. Des "enfants des rues", polytoxicomanes, qui sniffent de la colle ou prennent des médicaments, se bagarrent violemment, dorment dehors.
Au mois de décembre dernier, la Ville de Paris a débloqué près de 700.000 euros pour un plan d'urgence. Un centre d'accueil a ouvert, des éducateurs vont à leur rencontre pour les convaincre de se faire aider, d'être pris en charge, accompagnés. Selon la mairie du 18ème arrondissement, une quarantaine auraient ainsi rejoint le circuit de l'Aide sociale à l'enfance. Mais depuis un peu plus d'un mois, de nouveaux mineurs sont arrivés. "C'est très compliqué", explique le maire socialiste du 18ème, Eric Lejoindre, "nous travaillons avec la préfecture de police, avec la Ville de Paris, mais ces enfants refusent toute prise e charge et en l'état actuel de la loi, nous ne pouvons pas les obliger à rejoindre un centre d'accueil de jour ou de nuit". Le maire se trouve donc sans les outils juridiques pour faire face à cette situation, et demande à la ministre de la Justice de réfléchir à un texte permettant une prise en charge de ces enfants, sans leur consentement.
Depuis un an et demi, des enfants marocains, pour la plupart, errent donc dans les rues du 18e arrondissement de Paris et terrorisent certains habitants du quartier. Ces mineurs ne parlant pas français étaient notamment perçus comme des orphelins, mais d'après un rapport que Le Monde a pu se procurer, la plupart ne le sont pas.
Dans le quartier de la Goutte-d'Or, ils commettent des actes de délinquance pour lesquels ils sont rétribués en cachets de Rivotril, un antiépileptique, par de petits réseaux de la capitale. Le Parisien évoquait déjà la situation de ces « enfants perdus » en mars 2017. Ils avaient alors établi leur quartier général dans le square Alain-Bashung, où ils se droguaient avec de la colle, volaient pour pouvoir manger et agressaient parfois les passants. Un commerçant du quartier confiait au journal que ces enfants « volent, cassent, se battent entre eux » et que « personne n'ose plus traverser le jardin ».
« Tout le monde a peur parce qu'ils sont totalement ingérables », expliquait également une passante. Une situation à laquelle la Mairie de Paris n'a pas réussi à faire face : des associations mandatées par la Ville avaient essayé d'établir le contact, avec l'aide d'éducateurs, mais sans succès. Impossible alors de savoir d'où ils venaient, et pourquoi ils étaient dans les rues de la capitale. L'étude menée par l'association Trajectoires, à la demande de la Mairie de Paris, est parvenue à retracer le parcours de ces adolescents, dont les plus jeunes sont âgés de douze ans. Les plus vieux affirment avoir dix-sept ans, mais ils pourraient être plus âgés, précise Le Monde.
« Ils se font jeter de pays en pays »
Le rapport explique qu'ils passent d'une ville de l'Hexagone à une autre, qu'en plus de Paris, certains ont déjà vécu à Montpellier, Rennes, Bayonne ou encore Brest. La France n'est pas le seul pays dans lequel ils tentent de survivre : ces jeunes Marocains auraient aussi transité par l'Espagne, l'Allemagne, la Suède, le Danemark et la Belgique. « Ils se font jeter de pays en pays, ils traînent en Europe sans stratégie migratoire pensée », explique au Monde Olivier Peyroux, sociologue et coauteur du rapport. « Ce sont les migrants les plus mobiles d'Europe », précise-t-il encore au quotidien du soir, mais également les plus « abîmés ».
Surtout, la plupart de ces jeunes ne sont pas orphelins et ont une famille qui les attend au Maroc et les dissuade même souvent de tenter leur chance en Europe. Alors pourquoi venir dans les rues de Paris ? Estimant n'avoir aucun espoir au Maroc, ils rejoignent le vieux continent rêvant d'une vie meilleure, pour envoyer de l'argent à leur famille... Pour « sauver maman » , explique Le Monde .
Souvent, les mères de ces enfants perdus travaillent dans les usines de grandes marques de prêt-à-porter sous-traitant au Maroc. Elles peuvent travailler « parfois jusqu'à 16 heures par jour pour 1,50 euro de l'heure en moyenne », explique Olivier Peyroux. « Ces enfants incarnent le cauchemar de la mondialisation », résume le sociologue.
Le Monde : De Tanger à Paris, dans les pas des enfants perdus du Maroc
Mineurs isolés, drogués et violents, ils ont surgi il y a plus d’un an dans la capitale. On les pensait enfants des rues marocains, mais, en réalité, ils ont souvent une famille.
Paris n’avait jamais vu ça. Des hordes d’enfants qui débarquent dans les rues du 18e arrondissement, seuls, drogués, violents, le corps couvert de plaies et de brûlures, ne parlant pas un mot de français, semant la peur dans un quartier qui en a pourtant vu d’autres. Les premiers ont surgi il y a un an et demi, ils étaient une vingtaine ; ils sont repartis, quelques-uns sont revenus, de nouveaux sont arrivés, plus nombreux, ils sont une soixantaine aujourd’hui. Les plus jeunes ont 10 ans, les plus âgés prétendent avoir 17 ans (ils ont probablement plus).
Prise au dépourvu, la Mairie de Paris a tout tenté pour les approcher : éducateurs, associations spécialisées dans la protection de l’enfance, solutions d’hébergement, lieux d’accueil ad hoc… En vain. Ils fuguent et retournent errer dans la Goutte-d’Or, où ils commettent des actes de délinquance pour le compte de petits réseaux locaux qui les rétribuent en cachets de Rivotril (un antiépileptique détourné de son usage). Ils sont arrivés shootés à la colle ; dans les rues de Paris, ils deviennent polytoxicomanes. Personne n’en savait plus sur leurs profils et les raisons de leur venue. Tout juste avait-on appris qu’il s’agissait de jeunes Marocains, pour la plupart mineurs, qui avaient transité par l’Espagne.
Un rapport de l’association Trajectoires, qui étudie le parcours des migrants et des réfugiés en Europe, apporte enfin des éléments de réponse. Commanditée par la Mairie de Paris il y a six mois, cette étude, à laquelle Le Monde a eu accès, retrace le parcours de ces enfants qui vont et viennent d’une ville française à l’autre (Paris, Montpellier, Rennes, Brest, Bayonne…), d’un pays européen à l’autre (Suède, Danemark, Espagne, Allemagne, Belgique, France…), sans jamais se fixer. « Ils se font jeter de pays en pays, ils traînent en Europe sans stratégie migratoire pensée, observe le sociologue Olivier Peyroux, coauteur du rapport. Ce sont les migrants...