En un mois, « l’establishment » sécuritaire algérien a changé de visage, laissant planer le doute d’une guerre de succession en amont de la prochaine élection présidentielle de 2019. Amine Badad, journaliste au quotidien libanais L'Orient-Le Jour, apporte un éclairage sur cette situation.
Abdelghani Hamel, général-major, est remercié le 26 juin. Le chef de la DGSN (Direction générale de la sûreté nationale) était le premier flic du pays. Homme fort du clan Bouteflika, il a su résister au mouvement de contestation des policiers en 2014, qui réclamait déjà sa démission. Par un effet boule de neige, ses subalternes à la Direction de la sécurité des différentes wilayas d’Alger et d’Oran, respectivement Noureddine Berrachedi et Nouaceri Salah, sont limogés et dirigés vers la retraite moins d’une semaine après. Dès le 16 juillet, le chef de la sûreté de la wilaya de Tipaza (située à 60 km à l’ouest d’Alger), Salim Djay Djay, doit à son tour quitter le navire. Il est suivi par le responsable des renseignements généraux de la DGSN, Djilali Boudali. Le général-major Menad Nouba, chef de la gendarmerie nationale algérienne, est quant à lui remercié le 4 juillet après une carrière d’une trentaine d’années. Toute l’architecture sécuritaire du pays semble ainsi changer de mains, alors que « le quatrième mandat de Bouteflika est le fruit d’un consensus entre la classe politique, l’administration et les militaires », résume à L’Orient-Le Jour une source informée qui a requis l’anonymat.
Ces démissions seraient liées à une affaire de drogue, celle dite « d’el-Bouchi ». Tout remonte au 26 mai dernier quand le service national de garde-côtes intercepte une cargaison de viande en provenance du Brésil, transitant par Valence en Espagne, à destination du port d’Oran. Sur des informations d’autres services de renseignements, ils découvrent 701 kg de cocaïne. Le suspect principal, propriétaire de cette cargaison estimée à des dizaines de millions de dollars, est interpellé avec son entourage. Il s’agit de Kamel Chikhi. Avec un patrimoine immobilier estimé en millions de dollars, le principal importateur de viande d’Algérie a su tisser un réseau avec les hautes sphères du pays, qu’elles soient politiques, militaires ou religieuses. Dans sa chute, celui que l’on surnomme le « Boucher » aurait entraîné avec lui une série de hauts représentants de l’État. L’affaire aurait en effet révélé des pratiques de corruption devenues courantes en Algérie.
« Hamel désavoué devant l’armée »
Plus qu’un simple scandale de trafic de drogue, l’enquête devient, sous couvert militaire, une campagne anticorruption sur fond de crise politique. La police ou la DGSN, représentées par les ex-services de M. Hamel, sont mises à l’écart des investigations. Des déclarations ambiguës lors d’une conférence de presse du général-major laissent planer le doute d’une corruption généralisée ou d’un règlement de comptes politique. « Celui qui veut lutter contre la corruption doit être propre », avait déclaré M. Hamel. « Ces propos ont désavoué Hamel devant l’armée, puisqu’ils sont considérés comme inacceptables, y compris pour son clan », décrypte pour L’OLJ Hasni Abidi, directeur du centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen de Genève.
Les changements des chefs de la direction des wilayas, ou celle des RG, sont probablement imputables à la nomination de Mustapha Lahbiri à la place du général-major Hamel. En effaçant toute trace de M. Hamel des services de police et en plaçant des hommes de confiance aux postes-clés de la sécurité intérieure, Mustapha Lahbiri redessine la DGSN à son image. L’éviction de Menad Nouba se fait quant à elle au moment où l’armée remet le dossier « el-Bouchi » à la gendarmerie. Même si aucun lien avec l’affaire n’est avéré, la direction voulait sûrement un homme de confiance. « L’armée a toujours unilatéralement imposé sa vision, bien qu’elle déclare ne jamais s’immiscer dans la vie politique », analyse la source informée.
« Bouteflika a rompu la tradition militaire »
L’enquête est désormais entre les mains d’Ahmad Gaïd Salah, l’homme fort du moment qui cumule la casquette de vice-ministre de la Défense et de chef de l’état-major de l’armée nationale populaire. L’affaire du « Boucher » lui permet de faire le ménage au sein de la classe politique. Bien que « l’investigation se déroule dans une quasi-opacité », selon Abdou Semmar, rédacteur en chef de AlgériePart, le chef de l’état-major est omniprésent dans les médias. Ahmad Gaïd Salah est considéré comme un homme de l’État profond algérien, souvent comparé au maréchal Sissi. À 78 ans, il a pourtant renoncé à une mise au vert forcée. Quand le président français Emmanuel Macron se rend en Algérie, en décembre 2017, pour demander un soutien au G5 Sahel, Ahmad Gaïd Salah fait partie des rares interlocuteurs à s’entretenir avec lui.
Le président Abdel Aziz Bouteflika, ou du moins son cabinet, garde officiellement la mainmise sur les décisions de limogeages et de promotions. Pourtant, tout porte à croire qu’en l’espèce, ce soit plutôt l’état-major qui a forcé la main au palais présidentiel. En désavouant M. Hamel, le « clan Bouteflika » a perdu un allié de taille, qui faisait partie des candidats non officiels à la succession du président.
L’institution militaire prouve de son côté qu’elle a encore et toujours son mot à dire en Algérie. « Il est toutefois peu probable que le scénario égyptien se produise en Algérie. Ahmad Gaïd Salah peut difficilement aspirer à la fonction suprême, compte tenu du fait que le président Bouteflika a rompu la tradition militaire », décrypte la source informée. Ni le président Bouteflika, âgé de 81 ans et souffrant, ni ses proches n’ont pour l’instant affirmé avec certitude qu’il se représentera à la prochaine élection, alors que la liste des candidats probables à la succession se réduit. Une chose est sûre, la course à l’élection présidentielle est néanmoins bel est bien lancée.
Amine Badad