Un des piliers majeurs du système de contrôle de l'Algérie mis en place par le président Abdelaziz Bouteflika vient brutalement de s’effondrer. Le puissant patron de la police, le général-major Abdelghani Hamel, 62 ans, a été limogé par le chef de l’État mardi, à la surprise générale, et remplacé par le colonel à la retraite Mustapha-Lakhdar El Habiri, 79 ans, qui dirigeait jusque-là la Protection civile.
Ce limogeage, sans motif officiel, intrigue à Alger : Hamel fait partie du cercle très fermé des proches du président Bouteflika et de ses frères, dans lequel on ne compte que le chef d’état-major de l’armée et quelques conseillers et amis du chef de l’État. Montée en puissance depuis un peu plus de dix ans, la police algérienne a été, sous Hamel, un contrepoids nécessaire au cercle présidentiel face à l’hégémonie de l’appareil DRS, les services secrets algériens, officiellement dissous en janvier 2016.
Certains analystes voyaient dans cet officier « affable et compétent », selon ses proches à Alger, un potentiel candidat à la succession du président Bouteflika. L’ancien patron de la gendarmerie et de la Garde républicaine a aussi survécu à la grave crise qui a secoué la police algérienne en octobre 2014 : des centaines de policiers avaient marché sur Alger pour protester contre Hamel et leurs conditions de travail. Une première en Algérie.
Mais cette fois-ci, l’homme fort du système aurait trébuché, selon certaines sources, sur l’affaire du moment, celle qui occupe médias et discussions de café : l’affaire des 701 kilos de cocaïne saisis au large d’Oran (ouest).
Le 29 mai, les troupes spéciales de la marine algérienne lancent une opération d’abordage d’un navire en provenance de Valence (Espagne) pour découvrir à son bord 701 kilos de cocaïne qui proviendraient du Brésil. L’enquête, confiée aux gendarmes, fait rapidement tomber le réseau qui serait derrière ce trafic. Un importateur algérois et ses associés sont arrêtés, mais la presse évoque d’autres suspects. Et pas des moindres.
Les journaux parlent du fils d’un ancien Premier ministre, de juges, de procureurs, de maires, de responsables du secteur foncier qui seraient impliqués dans l’autre versant des affaires du principal accusé : les passe-droits en matière d’avoirs immobiliers.
Dans cette liste, on retrouve même, toujours selon la presse, le « chauffeur personnel » de Hamel, le patron de la police. La direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) a vite démenti cette information, précisant qu’il s’agissait d’« un chauffeur du parc automobile de la direction, et non pas du chauffeur personnel du directeur général de la Sûreté nationale ».
Ces révélations en cascades et la liste des suspects qui ne cesse de s’allonger promettaient un été comme les connaît bien le milieu politico-médiatique algérois. En 1998, une série de scandales avait visé le général Mohamed Betchine, le conseiller du président Liamine Zeroual, pour fragiliser le chef de l’État. L’été 2017 avait vu le limogeage surprise du Premier ministre Abdelmadjid Tebboune sur fond de tensions autour du rôle de l’argent dans la sphère politique.
Réseau de corruption
Cette ambiance de paranoïa, où chaque pôle du pouvoir se sent visé par d’autres segments du système à la moindre allusion, a poussé le ministre de la Justice, Tayeb Louh, à clarifier les faits.
Le 25 juin, le garde des sceaux expliquait devant les parlementaires que les saisies « de certains appareils électroniques, téléphones portables et caméras de surveillance » avaient « révélé l'implication de certaines personnes dans des affaires de corruption et de pots-de-vin versés en contrepartie de facilitations ».
Le ministre a soutenu que « la lutte contre la corruption et les crimes se voulait « une politique ancrée dans l'État ». D’une saisie de cocaïne, l’affaire s’est transformée en une vaste opération anticorruption.
Le lendemain de ces déclarations au Parlement, le patron de la police, le général-major Hamel, évoque cette affaire en lançant trois messages essentiels.
D’abord, il critique les gendarmes qui ont mené les premières investigations sur l’affaire de la cocaïne : « Il y a eu des dépassements et des interférences lors de l’enquête préliminaire, mais les juges étaient vigilants ».
Ensuite, et même si la police a déjà reconnu qu’un chauffeur de la DGSN fait partie des suspects, Hamel tient à préciser : « Même si notre institution n’est pas concernée par cette enquête, nous allons transmettre les dossiers en notre possession concernant cette affaire à la justice ».
Mais c’est surtout la dernière déclaration, que le chef de la police répète plusieurs fois, qui sonne comme un avertissement à d’autres pôles du pouvoir, et qui étonne : « Celui qui veut lutter contre la corruption doit être propre ».
Une attitude peu appréciée dans les sphères décisionnelles où « la cohésion des corps et institutions sécuritaires doit rester une priorité pour faire face aux différents défis, comme la lutte contre la corruption qui prend des dimensions alarmantes, touchant des centres névralgiques au sein même de l’État. Cela ne passera pas en toute impunité », commente-t-on en haut lieu pour Middle East Eye.
« Hamel démontre, peut-être aussi, que les luttes entre les pôles du système se sont aggravées, en accusant d’autres services de sécurité de négligence et en révélant publiquement qu’il détient des dossiers non encore communiqués à la justice », explique à MEE une source gouvernementale.
Solder les scandales
Les tensions seraient liées à la perspective d’un cinquième mandat du président Bouteflika, très affaibli par la maladie. La question de la corruption sera, encore une fois, au centre des luttes pour le pouvoir, l’enjeu étant de solder deux décennies de grands scandales financiers, de Khalifa à Sonatrach.
Des partis de l'alliance présidentielle, notamment le Front de libération nationale (FLN), dont Abdelaziz Bouteflika est le président, et le Rassemblement national démocratique (RND) du Premier ministre Ahmed Ouyahia, ont récemment appelé le chef de l'État à briguer un cinquième mandat en 2019.