Les joueurs binationaux de l'équipe algérienne de foot sont-ils des mal-aimés dans leur pays d'origine ? Une vidéo sur le web dénonce le rejet et la discrimination dont ils seraient victimes. Le phénomène est analysé par Middle East Eye (MEE).
ALGER – L’image est forte : le stade soudanais d’Oum Dormane explosant de joie. Nous sommes le 18 novembre 2009 et l’Algérie vient de se qualifier, face à l’Égypte, pour la Coupe de monde après 24 ans d’absence. Le héros du match, c’est Antar Yahia, un des premiers Franco-algériens à rejoindre l’équipe nationale algérienne, les Verts, en 2004. Un phénomène qui se banalisera au cours des années suivantes, de nombreux binationaux choisissant de jouer chez les Fennecs.
Lors du Mondial 2010, dix-huit joueurs nés en France faisaient partie de l’équipe nationale algérienne. Plusieurs avaient évolué dans les sélections de jeunes en France.
Des polémiques d'abord alimentées par l'extrême droite française puis reprises en Algérie
Depuis 2009, l’assouplissement d’une règle de la Fédération internationale de football (FIFA) permet aux footballeurs ayant commencé leur carrière dans les équipes nationales jeunes d’intégrer, même après leur 21 ans (ce qui était interdit avant) l’équipe nationale d’un autre pays dont ils portent la nationalité. Les choix de certains jeunes joueurs ont provoqué des polémiques en France, surtout alimentées par le Front national. Le parti d’extrême droite aimerait même abolir la binationalité et forcer les Français concernés à choisir entre la France et leur pays d’origine.
Aujourd’hui, le débat s’est apparemment déplacé en Algérie : une vidéo circulant sur les réseaux sociaux, qui s’ouvre sur incroyable scène de liesse à la fin du match Algérie-Egypte de 2009, dénonce les récentes décisions prises par la Fédération algérienne de football (FAF) contre les joueurs binationaux.
On y voit des extraits d’émissions sur des chaînes algériennes, où des animateurs, des sportifs et des commentateurs critiquent les Franco-algériens de l’équipe nationale. Une fois, c’est le prénom qui est cité : « Tu appellerais, toi Algérien, ton fils Carl ?! », s’époumone un commentateur sportif en parlant de Carl Medjani, membre de l’équipe d’or de 2009.
Une autre fois, c’est carrément l’un des parents qui « pose problème » : « Je suis plus Algérien que M’Bolhi, son père est Congolais », semble s’indigner un autre animateur en évoquant le gardien de but Raïs M’Bolhi, héroïque face aux grandes équipes comme l’Allemagne ou l’Angleterre.
Ali Bencheikh, ancien joueur de l’équipe mythique du Mondial de 1982 déclare encore sur le plateau d’une émission : « Ne dites pas que ce sont aussi nos enfants [en parlant des joueurs binationaux], ça je ne veux pas l’entendre » !
Dans cette vidéo, mise en ligne cette semaine, intitulée « Contre le racisme et l’exclusion », le jeune auteur de l’enregistrement insiste : « Le racisme n’est pas une opinion, c’est un crime » et appelle à signer une pétition : « Arrêtons la discrimination systémique contre les joueurs binationaux algériens ».
« La position de la FIFA sur la question du racisme est claire et sans équivoque : le racisme et toute autre forme de discrimination n’ont pas leur place dans le football », lit-on dans cette pétition qui ambitionne de rassembler 50 000 signatures avant d’être adressée à la Confédération africaine de football, à la FIFA, au Comité international olympique (CIO) et à la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH).
Des « manœuvres honteuses »
« Depuis cinq ans, il existe une campagne de discrimination systémique contre les joueurs de football algériens binationaux », soulignent les auteurs de la pétition. « Il est inconcevable de voir que la Fédération algérienne de football actuelle a cédé à ces manœuvres honteuses en déclarant ce qui suit lors de la réunion en date du 29 novembre 2017 : ‘’Décision du bureau fédéral : deux critères seront pris en considération pour convoquer un joueur algérien établi à l’étranger dans l’une des sélections nationales : son engagement inconditionnel en faveur de l’Algérie et sa supériorité technique par rapport aux joueurs exerçant en Algérie’’. Cette décision a provoqué l’indignation de tout le monde, d’anciens joueurs binationaux, de même que certains évoluant encore au sein de la sélection, en plus de la grande majorité de la population algérienne ».
Dans la presse algérienne, l’ancien sélectionneur national, Rabah Saâdane a exprimé ses regrets face à la décision de la FAF : « Franchement, ça me touche quand j'entends dire que des joueurs actuels de l'équipe nationale ne jouent pas avec le cœur. C'est faux, car dans ce cas, ils ne seraient pas venus dès le premier jour. Du moment qu'ils ont accepté de revêtir le maillot algérien, c'est qu'ils sont motivés pour le représenter dignement ».
À la une de la presse sportive algéroise, la colère des footballeurs binationaux (capture d'écran)