Invoquant leur non-conformité à la législation, les autorités algériennes viennent de fermer plusieurs lieux de culte protestants. Lit-on dans les colonnes du site de la croix NETWORK.
De son côté, l’Église protestante d’Algérie dénonce « des intimidations » et invoque l’impossibilité de se mettre en conformité avec les règles en vigueur.
Quels sont les faits ?
Depuis quelques mois, une série de locaux utilisés comme lieux de culte par des Églises protestantes ont été fermés par les autorités en Algérie. Le premier concerné était celui d’Aïn-el-Turk, à quelques kilomètres d’Oran, le 9 novembre. Les autorités ont affirmé que l’église avait été ouverte « sans autorisation » et« utilisée pour imprimer illégalement des Évangiles et des publications destinées à l’évangélisation ».
La presse algérienne indique qu’une commission composée de fonctionnaires des ministères des affaires religieuses et de l’intérieur, de gendarmes, de pompiers, a visité 25 des 45 Églises affiliées à l’Église protestante d’Algérie (la principale dénomination locale, agréée depuis 1974). À celles qui n’étaient pas en règle, un courrier a été adressé les invitant à demander leur régularisation dans les trois mois.
Depuis fin février, ceux qui ne l’ont pas fait sont mis sous scellés : trois dans la wilaya d’Oran, deux en Kabylie (Béjaïa et Tizi-Ouzou) et un dans le centre du pays, à Ouargla. L’Église protestante d’Algérie (EPA) déplore également « la fermeture d’une librairie à Oran-ville à cause de la confession chrétienne de son propriétaire », ainsi que la « tentative de fermeture d’une ferme d’élevage de cailles à Layayda, dans la wilaya d’Oran, pour les mêmes raisons », rapporte le quotidien El Watan le 12 mars.
Enfin, l’EPA dénonce des enquêtes et/ou des poursuites menées contre certains de membres pour prosélytisme ou pour « importation illégale de livres chrétiens », ou encore la « confiscation de livres chrétiens personnels ».
Quel est le contexte ?
Après « la décennie noire », l’Algérie a entrepris ces dernières années une reprise en main de sa sphère religieuse. Le ministre des affaires religieuses, Mohamed Aïssa, dénonce régulièrement dans ses discours les « forces extérieures » qui tentent d’« éloigner l’Algérien de son référent religieux » pour « déstabiliser » le pays.
Concrètement, les mosquées illégales, le plus souvent sous influence salafiste, sont progressivement fermées, et un effort accru a été décidé pour former les imams sur la base d’un « discours modéré ». Le prosélytisme – « qu’il soit évangélique, chiite ou wahhabite » (sur le site TSA, 16 juillet 2014) – est vigoureusement dénoncé, et les organisations que les autorités considèrent comme « sectaires » réprimées. L’an dernier, plusieurs responsables et des fidèles du mouvement Ahmadyyia – qui se présente comme musulman mais n’est pas reconnu comme tel par la majorité sunnite – ont été arrêtés, emprisonnés et parfois condamnés.
Quelles réactions ?
Concernant les locaux utilisés par les Églises protestantes, les autorités invoquent le non-respect des règles de l’ordonnance du 28 février 2006 « fixant les conditions et règles d’exercice des cultes autres que musulmans ». Celle-ci soumet l’ouverture d’un lieu de culte « à l’avis préalable de la commission nationale de l’exercice des cultes » et punit quiconque « incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tentant de convertir un musulman à une autre religion ».
Sur la chaîne de télévision Ennahar, le ministre algérien des affaires religieuses, Mohamed Aïssa a souligné que les locaux fermés « ne respectaient pas les normes requises ». Interrogé par le quotidien arabophone El Khabar, le président du Haut conseil islamique (et ancien ministre des affaires religieuses), Bouabdellah Ghlamallah, a ajouté que « le pays respecte les minorités religieuses » mais que ces dernières doivent « se soumettre à la règlementation en vigueur » (Algérie Focus le 18 mars).
De son côté, l’EPA a exprimé dans un communiqué ses « vives inquiétudes ». Son président Mahmoud Haddad dénonce « les intimidations en tout genre dont font l’objet ses membres et les communautés qui lui sont rattachées », affirmant que « la menace de fermeture pèse sur toutes les communautés de l’EPA ». Sous couvert d’anonymat, des responsables protestants algériens se plaignent de ne jamais recevoir de réponse à leurs demandes d’agrément et reconnaissent avoir donc pris l’habitude de louer ou de construire des locaux pour s’y réunir.
« Pour ce qui des réactions au sein des Églises locales, il y a eu un appel au jeûne et à la prière » le 24 février, témoigne un protestant du nord de l’Algérie. « Les Églises continuent à célébrer des cultes même si certaines vivent dans la crainte d’une fermeture étant donné qu’elles ne sont pas en situation de se conformer à la loi en vigueur ; elles ne peuvent recevoir un permis de construire. »
Le 28 février, la Ligue algérienne des droits de l’homme a réagi elle aussi, rappelant que « la liberté de culte est garantie par la constitution algérienne et les conventions internationales ratifiées par l’Algérie ». Elle a appelé également « l’opinion publique à une large solidarité pour la sauvegarde des libertés et la protection des droits fondamentaux ».