
L'hébdomadaire marocain Telquel est un bon professionnel. Il dénonce toutes les arnaques dont il a connaissance et dont les faits sont analysés et recoupés, que ce soit en politique, en économie, dans la vie sociale du pays, etc. Mais voilà à trop dénoncer on s'affronte à des intérêts puissants qui réagissent. C'est le boomerang journalistique.
Plusieurs syndicats et associations du secteur médical ont porté plainte contre l’hebdomadaire « TelQuel » pour diffamation après la une du magazine sur les arnaques dans les cliniques privées, parue le 2 février 2018. La directrice de publication et les deux journalistes auteurs de l’enquête devront comparaître devant la justice le 19 mars.
Pour le Syndicat national des médecins du secteur libéral, l’Assemblée nationale syndicale des médecins spécialistes du secteur privé, l’Association nationale des cliniques privées et le Rassemblement syndical national des médecins du secteur privé, TelQuel « a violé le caractère sacré et noble de la profession médicale » et « annihilé tous les efforts entrepris par les professionnels du secteur qui veillent nuit et jour pour assurer la santé des citoyens ».
Cette contre attaque des intérêts privés médicaux nous donne l'occasion de revenir sur le scandale dénoncé par Elsa Walter et Hassan Hamdani dans le magazine Tel Quel .
Césariennes, dialyses, opérations injustifiées, paiement au noir... De nombreux médecins du privé ont construit un vrai business en soignant leurs patients.
Dossier réalisé par Elsa Walter, avec Hassan Hamdani
Pour beaucoup de médecins du secteur privé, les patients sont devenus des vaches à lait. Césariennes, dialyses, opérations injustifiées, paiement au noir... Soigner les gens n'est pas un sacerdoce pour eux, mais un business juteux bâti sur des pratiques illégales et immorales. Dans le dossier du n°797 du magazine TelQuel, les journalistes ont mené l'enquête.
En pole position de ces interventions sujettes à caution, la césarienne. "Moi, les accouchements par voie basse qui durent 17 heures, cela ne m'arrange pas vraiment". Ce sont les propos d'un gynécologue pratiquant dans une clinique privée de Casablanca. Ils sont rapportés par l'une de ses patientes. Décomplexés, les obstétriciens privés sont nombreux à annoncer d'emblée la couleur à leurs patientes: une césarienne ou rien. Si elles veulent accoucher par voie naturelle, il faudra aller voir ailleurs. La raison ? Depuis que son tarif a été revalorisé de 6.000 à 8.000 dirhams en 2011, les médecins ont de plus en plus recours à la césarienne.
L'histoire d'une patiente d'une clinique privée de Casablanca en témoigne. "Alors que ma grossesse approchait de son terme, mon gynécologue m'a dit que j'avais un déficit de liquide amniotique qui nécessitait une césarienne en urgence. Je suis allée prendre l'avis d'un autre praticien, qui m'a infirmé le diagnostic: mon fœtus se portait très bien et j'ai finalement accouché par voie basse quelques jours plus tard. J'ai par la suite appris que mon premier gynécologue partait en vacances la semaine suivante", raconte-t-elle.
Dialyses à gogo
La dialyse est aussi un acte médical pour lequel les médecins sont pointés du doigt. Et là, pas d'arguties entre diagnostic médical ou opération purement financière comme pour la césarienne. On peut parler clairement d'arnaques de certains centres d'hémodialyse, perpétrées avec la complicité des malades. Le principe de l'escroquerie? Le néphrologue et le patient se mettent d'accord pour déclarer, à titre d'exemple, 13 séances à l'organisme assureur alors que seulement 10 sont effectuées. Ils se partagent ensuite la somme des 3 séances fictives selon une répartition négociée en amont.
"J'ai eu connaissance de cela, mais je ne peux pas vous dire dans quelle proportion on a recours à cette fraude. J'ignore s'il s'agit de cas rares ou de pratiques bien installées", confie le professeur Benaguida.
Honoraires abusifs et surfacturation
Dans la litanie des griefs des patients, on retrouve également les honoraires abusifs. Un moindre mal comparé à la surfacturation qui se classe quasi ex æquo sur le podium des doléances. La liberté des patients, censés se renseigner sur les tarifs des actes et même les comparer auprès de différents praticiens, est un argument qui revient régulièrement dans la bouche de tous les médecins auxquels nous avons parlé. Sauf qu'il ne tient pas compte de la situation de faiblesse physique et psychologique des personnes confrontées à la maladie.