La question migratoire est un dossier explosif d'un côté comme de l'autre de la Méditerranée. Face à l'Europe qui se divise, les pays maghrébins agissent en solo lit-on pour Benoît Delmas le correspondant du Point à Tunis.
L'obsession migratoire affole les boussoles politiques, nationales, identitaires. Qu'un continent de 500 millions d'habitants, l'Europe, soit terrorisé par l'arrivée de quelque 200 000 migrants illégaux par an pose question sur les idéaux des États membres de l'UE. Les névroses électoralistes l'emportent sur le rationnel. Face aux Salvini (Italie), Orbán (Hongrie), Kurz (Autriche), face à la montée de l'AfD en Allemagne, d'un FN (désormais RN) à 30 % au second tour de la présidentielle en 2017, les esprits les plus généreux deviennent subitement d'une frilosité capable de combattre le réchauffement climatique. Terreur d'une montée de l'extrême droite, d'une « lèpre populiste » selon les termes employés par Emmanuel Macron. L'Italie est désormais dirigée par l'alliance du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue. Cette dernière dont est issue la nouvelle star de la politique italienne, le nouveau ministre de l'Intérieur Matteo Salvini, qui, depuis un mois, date du début de son mandat, fait verbalement feu sur les arrivées de bateaux de migrants et sur le manque de solidarité des pays voisins. Il est actuellement en visite en Libye.
Libye : une (ancienne) plaque tournante pour mafias et milices
Longtemps, l'arme migratoire fut utilisée par le colonel Kadhafi. Une fois le despote disparu, les clans, tribus, mafias et autres collectifs d'intérêts se sont organisés pour faire du passage de la Méditerranée un lucratif marché. Au grand dam des Européens. En première ligne, l'Italie décida d'aller traiter le problème à sa racine. Et de négocier avec les hommes de l'ombre, les organisateurs de ce vaste trafic d'humains. Conséquence : le flux s'est fait filet, le fleuve ruisseau. Seconde conséquence : les candidats à l'exil quittent une Libye violente pour rejoindre le Maroc en traversant le désert algérien.
Algérie : une politique très dure
Les autorités algériennes ne dissimulent pas leur hostilité envers les Subsahariens illégaux. Les ONG estiment que 100 000 migrants y résident, y travaillent. Ils sont une main-d'œuvre corvéable à merci, payés une misère sur les chantiers, comme certains Algériens employés dans les fermes du sud de l'Italie par la mafia… Le Premier ministre Ouyahia n'a pas hésité à les qualifier de « source de criminalité, de drogue et autres fléaux ». Entre racisme anti-Noir et expulsions, le régime n'hésite pas à parler des Subsahariens comme « une menace pour la sécurité nationale ».
Le Maroc veut faire figure d'exemple
En régularisant à deux reprises (en 2014 puis en 2018) des dizaines de milliers de Subsahariens, le royaume chérifien peaufine son image bienveillante à l'égard des pays africains. Cela fait partie de la diplomatie personnelle que développe le roi Mohammed VI depuis plusieurs années. Ce qui n'empêche pas la population marocaine de manifester sa colère envers cette population qu'elle juge indésirable. Les cas de racisme et d'agressions existent. A Tanger, à Casablanca… Mohammed VI se pose en médiateur potentiel entre l'Afrique et l'Europe depuis que son pays a réintégré l'Union africaine. Pas simple.
Embarras à Tunis
La jeune démocratie tunisienne ne peut pas se permettre les écarts de langage algériens. Depuis le premier janvier 2018, elle est devenue la première nation en nombre de migrants illégaux parvenus sur les rives italiennes (source : Frontex, OIM). Sans ignorer la fuite des cerveaux, phénomène légal qui soucie autant, voire plus, les dirigeants tunisiens. Le pays ne dispose pas d'une législation consacrée à l'asile. La tentation européenne d'installer un centre de migrants sur le sol tunisien n'a pas les faveurs des autorités. Le récent naufrage d'une embarcation au nord de Kerkennah – près de 80 morts – n'a pas donné lieu à un discours officiel de condoléances. À un problème humanitaire, la réponse sera essentiellement sécuritaire. Le ministre de l'Intérieur a été débarqué – officiellement pour cette raison, officieusement pour d'autres – et des renforts seront disposés afin de bloquer les candidats au départ. Mais, police ou pas, le problème demeurera.
Les damnés de la Méditerranée
Ils partent du sud, comme attirés par les lumières européennes. Quel que soit le prix à payer, le cimetière marin, le centre de rétention, ils partiront. Ils vogueront vers un futur jugé plus prometteur que dans leurs pays d'origine. Tous les barrages au monde – milices, gardes-côtes, visas concoctés pour qu'ils soient inatteignables – n'y feront rien. Et les pleurs, au nord comme au sud, sont soit du théâtre subventionné, soit l'expression d'un calcul politique à court terme.