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Enfants sahraouis déportés à Cuba : Non à l’oubli

Le calvaire des enfants sahraouis déportés à Cuba revient sur le devant de la scène. Des milliers d’enfants sahraouis ont été transférés vers Cuba depuis les années 70 où ils ont subi les pires atteintes á leurs droits humains. La déportation de ces victimes, embarqués manu militari vers l’archipel cubain, est initiée par le Polisario avec un objectif sordide. Ces enfants ont été arrachés à leurs familles, dans le but d’obliger ces dernières à rester dans les camps de Tindouf.

Entretien avec le Dr Mohammed MRAIZIKA, Chercheur en Sciences Sociales, Consultant en Ingénierie culturelle, écrivain

MAGLOR : La question des atteintes aux droits de l’Homme dans les camps de Tindouf a donné lieu à une manifestation Samedi 27 mars à Paris Place de la République. Les organisateurs ont lancé des appels à la libération des personnes séquestrées depuis les années 70 dans ces camps. Vous avez écrit sur ce sujet et votre association ALMOHAGIR a milité pour cette cause. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

MM. Ce problème, qui revient une nouvelle fois au-devant de l’actualité, est ancien mais terriblement mal connu et peu traité.  Lorsqu’il y a 15 ans, j’ai en effet écrit et mené différentes actions pour attirer l’attention des défenseurs des droits de l’Homme et des instances internationales sur l’ampleur du drame humain et humanitaire que vivent les milliers d’hommes, de femmes et d’enfants retenus contre leur volonté à Tindouf, je ne pensais pas que ce drame allait perdurer tout ce temps.  Le black-out général que le régime algérien a su établir autour de cette question durant plusieurs années, a été percé il y a plus de deux décennies grâce aux témoignages, aux enquêtes et rapports qui ont vu le jour en Europe notamment. Mais ce qui m’interpelle aujourd’hui c’est le fait que cette question éminemment importante, n’est pas traitée comme elle devrait l’être car elle est avant tout une question en rapport avec les droits humains et concerne la dignité de milliers de sahraouis séquestrés dans les camps de Tindouf et d’autres camps installés sur le territoire algérien. Continuer à ne voir dans ce problème qu’un aspect « subsidiaire » du dossier global du Sahara est à mon sens une faute grave dont on ne mesure pas assez les incidences psychologiques, sociales et humaines.

MAGLOR : On parle souvent des humiliations et des violations des droits des populations du camp de Tindouf comme les pires que le monde a connu ces dernières années. En quoi ce qui se passe dans ces camps est exceptionnel ?

MM. Pour montrer à quel point ce cas est exceptionnel, il suffit de citer un ou deux exemples qui montrent le caractère inhumain des méthodes employées dans les camps de Tindouf par les mercenaires et les séparatistes enrôlés sous l’étiquette du Polisario. Ces méthodes sont inhumaines et inqualifiables.  Un seul exemple spécifique permet de révéler l’impact de ces méthodes sur la santé physique et mentale des sahraouis : celui des milliers d’enfants sahraouis envoyés dès la fin des années soixante-dix à partir des camps de Tindouf vers «l’île de la Jeunesse» (anciennement île des Pins) à Cuba. Longtemps, cet aspect du conflit du Sahara est resté ignoré. Et c’est grâce surtout aux nombreux témoignages d'anciens prisonniers des camps de Tindouf, d'anciens déportés à Cuba et des rapports d'ONG qu’une somme importante d’informations a circulé. Initialement, ce sont d’anciens instructeurs ou des journalistes cubains installés à l'étranger qui ont révélé la réalité du drame que vivent les enfants sahraouis déportés à partir du territoire algérien vers Cuba.  Avant ces révélations très peu d’images et de témoignages ont filtré à l’extérieur des camps au sujet des règles et conditions de sélection des enfants destinés à être envoyés vers les établissements spéciaux d’encadrement idéologique et de formations militaire de «l’île de la Jeunesse» ou d’autres régions cubaines.

MAGLOR : Pouvez-vous nous décrire les mécanismes de transfert de ces enfants vers Cuba et leurs conditions de vie sur place ?

 MM. Justement, ce sont les étapes de ce processus de séquestration et de transfert, ainsi que les méthodes, les objectifs et les incidences de ce processus sur les enfants déportés et leurs familles retenues à Tindouf, que j’ai tenté de mettre en lumière il y a 15 ans. Le transfert vers Cuba, à partir des camps est méthodique. Il rentre dans une stratégie politique avec des objectifs précis. Il s’apparente aux pires méthodes mafieuses. Il débute par la sélection d’enfants en bas âge (8-9 ans) d’abord dans les camps où la situation humanitaire et sanitaire est catastrophique où règne selon de nombreux observateurs « un régime de terreur, contraignant et spartiate». Et c’est à partir de ces camps inhumains que les enfants sahraouis sont acheminés par bateau vers Cuba et «l’Ile de la Jeunesse».

   Quant à la scolarité de ces jeunes enfants arrachés à leur famille, à leur terre et à leur culture, elle se déroule dans des établissements spéciaux, appelés internats mais qui sont surtout des baraquements spécifiques dépourvus de tout confort.  Les jeunes enfants sahraouis grandissent dans ces lieux sous haute surveillance durant de longues années en compagnie de jeunes africains, Angolais ou Namibiens, soumis au même sort.

 
Mohammed Mraizika     

MAGLOR : quel est leur nombre ?

 Le nombre exact des jeunes sahraouis issus des camps de Tindouf déportés à Cuba dès les années 70 reste un mystère. Les chiffres avancés par quelques sources sont importants. Des témoins cubains et des ONG locales ont signalé dès les années 80 l’arrivée régulière de bateaux transportant «un nombre incroyable» d’enfants âgés entre 9 et 15 ans. Un journal américain, le Washington Times, a indiqué à l’époque que 3.000 enfants sahraouis sont toujours retenus à Cuba et entre 350 et 400 y sont déportés chaque année à partir de Tindouf. Le témoignage d’une jeune marocaine, Mme Fatimatou, qui a vécu 12 ans d¹exil à Cuba dans un internat, confirme ces chiffres : ils étaient selon elle au début quelques centaines, mais leur nombre est monté, au fil des années, pour atteindre plusieurs milliers, garçons et filles, regroupés dans des établissements spéciaux. «sous contrôle militaire et d’où il n’y avait aucune possibilité de fuite» précise M. Dariel ALARCON, un cubain exilé en France.

MAGLOR : Quels sont les objectifs de cette déportation qui semble régulière depuis les années 70 ?

MM. Les objectifs de ce transfert sont de différents ordres idéologiques, politiques, culturels, économiques et sécuritaires. Mais on peut en dégager quelques-uns des plus caractéristiques :

- Un moyen de chantage et de pression : Les familles dont les enfants sont envoyés à Cuba restent dans camps contraints et forcés à la merci et sous le contrôle des séparatistes du Polisario. Elles ne peuvent pas fuir sous peine de mettre en danger leurs enfants. Il faut vraiment imaginer le calvaire de ses parents sahraouis privés de la présence et de l’amour de leurs enfants dès l’âge de 8/9 ans. La Séparation peut durer pour certains jusqu’à 15 ans. La déportation est donc un moyen de contrôle des familles des camps de Tindouf, car, comme l’avait dénoncé plusieurs ONG qui ont visité ces camps «si ces parents tiennent à revoir leurs enfants ils ont intérêt à ne pas désobéir». En effet, «en déchirant ainsi les familles, le Polisario maintient un contrôle effectif sur les camps», souligne l¹éditorialiste du Washinton Poste qui ajoute que «si jamais un père s’échappe des camps, il est presque certain de ne jamais revoir encore son fils ou sa fille».

- L’endoctrinement idéologique et militaire : les enfants sahraouis une fois à Cuba, sont soumis à une formation idéologique et militaire stricte. Les instructeurs sont sahraouis ou cubains. L’enseignement de base est constitué essentiellement de cours de la langue espagnole et de l’idéologie marxiste-léniniste. La haine du Maroc, de la culture arabe et musulmane, est un fondement du corpus principal de cet enseignement. L’instruction militaire comprend le maniement des armes, l’apprentissage de la guérilla, la fabrication d’engins explosifs. Selon plusieurs ONG humanitaires, de nombreux enfants sont morts victimes de l’explosion de ces engins.

- Exploitation économique : une fois à Cuba les enfants sahraouis font l’objet d’une exploitation économique systématique au profit d’entreprises cubaines. Ils sont intégrés dans le circuit économique cubain en qualité de main-d’œuvre peu coûteuse et présents dans plusieurs secteurs en particulier les fabriques de cigares, les champs de la canne à sucre et la récolte des fruits et légumes.

- Le tourisme sexuel : des sources locales avancent l’idée que des filles sahraouies sont «placées dans des hôtels, des boîtes de nuit ou des maisons particulières où elles sont employées comme domestiques». Ces enfants et ces femmes sont livrés à toutes formes d’abus au profit de touristes espagnols, allemands, canadiens, américains. Des spécialistes parlent même d’agences de tourisme qui se sont spécialisées dans ce genre commerce. Selon le rapport de Mme Marie-Françoise Mirot, de nombreux garçons et des filles sont morts à l’époque contaminés par la syphilis et le sida.

- Trafic d'organe : ce trafic criminel a été révélé par des observateurs internationaux qui parlent d’un véritable réseau de trafic d'organes humains en provenance des camps. Selon des agences de presse «quelque 600 patients, essentiellement des enfants et des femmes issus des camps sahraouis, ont subi des vols d’organes et ont été déclarés morts par les autorités ».

MAGLOR : C’est terrible comme situation. Les conséquences psychologiques doivent être considérables, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

MM. Les enfants envoyés à Cuba à partir des camps sont, dès leur arrivée, installés dans l’isolement dans des baraquements militaires ou dans des établissements spéciaux où ils vivent et grandissent dans des conditions insupportables. Ils sont élevés à l’écart des populations, encadrés par des militaires ou des chefs d’entreprises cubains qui les exploitent sans ménagement dans les champs de canne à sucre, les usines de tabac ou dans le secteur des services et du tourisme…

Le dépaysement et l’encadrement idéologique et militaire que les enfants subissent tout le long de leur séjour à Cuba, jusqu’à 15 années pour certains d’entre eux, les coupent de toute réalité sociale et culturelle. Les traditions culturelles, la langue arabe, les coutumes sahraouies sont remplacées par l’idéologie communiste.

MAGLOR : Que faire donc pour mettre un terme à cette politique de séquestration et d’humiliation ?

MM. Il faut que l'opinion internationale, en particulier les ONG humanitaires qui militent pour la défense des droits de l’homme, assument leurs responsabilités en exerçant les pressions les plus fortes sur les mercenaires du Polisario et leur allié Algérien qui cautionne et favorise cette politique. Alger a une part importante de responsabilité dans ce drame humain. C’est sur son territoire que les atteintes aux droits des sahraouis sont commises.  C’est à partir de son territoire que les trafics sont pratiqués à grande échelle dans toute la région du Sahel par les mercenaires du Polisario. 

Aujourd’hui, grâce à la fluidité de l’information et à l’impact des réseaux sociaux, cette responsabilité est bien démontrée.  Il n’est donc plus possible à Alger et à ses protégés de cacher le drame humain qui a pour théâtre les camps. Alger ne peut plus non plus dégager sa responsabilité dans la mise en place de ce système tyrannique installé dans le Sud-Ouest algérien, qui fonctionne depuis plusieurs décennies sur la base du transfert des enfants et leur endoctrinement, sur le détournement de l'aide internationale et la circulation des armes.

MAGLOR : Quel rôle peuvent jouer dans ce domaine les associations des marocains de l’étranger ?

MM. Elles ont, en tant qu’acteurs de la société civile européenne, un rôle majeur à jouer dans ce combat pour la dignité humaine. Elles ont prouvé à différentes occasions leur efficacité dans la défense des causes nationales. Leur devoir aujourd’hui est de mettre tout en œuvre pour faire cesser le calvaire de leurs compatriotes séquestrés à Tindouf. Mais, il ne suffit pas d’aller à la Place de République ou à la Place de Trocadéro pour chanter des chansons et de brandir les drapeaux nationaux. Il faut des plaidoyers forts auprès des instances politiques et parlementaires françaises et européennes et des organismes internationaux. Il faut aussi que ceux qui organisent ces manifestations soit à même de défendre les causes nationales et les droits des marocains sahraouis séquestrés à Tindouf sur la base d’arguments juridiques et historiques solides et sûrs.

   Les autorités marocaines, à leur tête le CORCAS, le CCME, le Ministères des MRE doivent soutenir les associations pour renforcer leur capacité d’action en les dotant des moyens nécessaires, des documents et des supports les plus fiables pour leur permettre de soutenir, devant les « étrangers » en particulier, les thèses marocaines.  Le partenariat associations-Consulats fonctionne et c’est une bonne chose. C’est en mobilisant les réseaux médiatiques, les sites internet et les ONG marocaines, surtout  les plus dynamiques et les plus présentes sur le champ de la lutte des droits de l’Homme, que la cause des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants retenus contre leur volonté dans les camps des séparatistes du Polisario peut-être comprise et entendue. Tout le monde sait, car la preuve est déjà faite, que les camps sont de véritables prisons. Des lieux où les droits de l’Homme les plus élémentaires sont bafoués. Laisser la situation telle qu’elle est aujourd’hui est un crime contre l’humain d’abord.

            

MAGLOR : derniers mots

MM. La diplomatie marocaine a enregistré ces derniers moments des avancées remarquables. La marocanité du Sahara n’est un slogan vain mais une réalité historique. Toutefois, la question des droits à la liberté et à la libre circulation de milliers de marocains sahraouis ne doit pas restée une « question subsidiaire ». Elle doit être traitée comme une priorité nationale. Les séparatistes du Polisario et le pouvoir algérien ont réussi à la faire passer sous silence. A nous tous, autorités, ONG, intellectuels, journalistes, de prouver que les atteintes aux droits humains font partie des stratégies retenues par Alger et ses protégés contre les marocains. Rappelons-nous le drame des expulsés de 1975 et celui des paysans d’Al ‘Arja près de Figuig, chassés de leurs terres et privés de leurs récoltes et outils de travail.

Il faut donc que nos discours et plaidoyers au profit de nos causes nationales supérieures soient à la hauteur des attentes des séquestrés des camps de Tindouf. Il faut aussi que l’action des Marocains de l’étranger soit un atout pour le Maroc qui avance avec résolution sur la voie du développement économique et humain. Ses adversaires de l’Est, quoi qu’ils fassent, n’arrêteront jamais cette marche. Enfin, il faut rappeler à tous, que la diplomatie culturelle n’est pas un exercice circonstanciel mais un travail de fond, de tous les jours. C’est un outil formidable que les Marocains installés à l’étranger doivent utiliser à bon escient pour obtenir la libération inconditionnelle de tous les séquestrés sahraouis dans les différents camps installés sur le territoire algérien.

 

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