La Cour de justice de l’Union européenne avait été saisie par un tribunal britannique, à qui il reviendra de trancher le dossier.
L’accord de pêche conclu entre l’Union européenne (UE) et le Maroc n’est pas applicable aux eaux adjacentes de la région disputée du Sahara occidental, car il ne respecte pas le droit à l’autodétermination, a estimé, mardi 27 février, la Cour de justice de l’UE (CJUE). Selon la justice européenne, l’inclusion du territoire dans le champ d’application de l’accord de pêche « enfreindrait plusieurs règles du droit international, notamment le principe d’autodétermination ».
La CJUE avait été saisie par un tribunal britannique à qui il reviendra de trancher le dossier, en conformité avec le jugement de la Cour. Cette décision fait écho à un précédent arrêt du 21 décembre 2016 par lequel la plus haute juridiction européenne avait ordonné que le Sahara occidental soit exclu de l’accord de libre-échange UE-Maroc. L’accord de pêche n’était toutefois pas inclus dans ce dossier.
La CJUE avait alors estimé qu’il fallait tenir compte du « statut séparé et distinct » du Sahara occidental reconnu par l’ONU. Cette décision avait suscité de vives tensions entre Bruxelles et Rabat, obligés de renégocier l’accord agricole. Ces négociations sont toujours en cours.
Droit à l’autodétermination
Dans ce dossier pêche, la Cour relève que le Maroc ne peut exercer sa souveraineté que « sur les eaux adjacentes de son territoire et relevant de sa mer territoriale ou de sa zone économique exclusive ». « La Cour juge donc que, compte tenu du fait que le territoire du Sahara occidental ne fait pas partie du territoire du royaume du Maroc, les eaux adjacentes du territoire du Sahara occidental ne relèvent pas de la zone de pêche marocaine visée par l’accord de pêche », précise un communiqué de la CJUE.
L’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre l’UE et le Maroc est entré en vigueur le 28 février 2007 et a été mis en œuvre par des protocoles successifs. Ils permettent à des navires de l’UE d’avoir accès à la zone de pêche du Maroc. Le dernier protocole est applicable jusqu’au 14 juillet 2018. Cet accord était contesté devant un tribunal britannique par la Western Sahara Campaign, une organisation indépendante qui promeut la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui.
Source : le monde.fr
Un bras de fer en crescendo :
de l’exclusion des territoires du Sahara à l’invalidité de l’accord de pêche UE-Maroc ?
Au moment où Londres rejette la suprématie du droit communautaire et que le « Brexit withdrawal bill » (loi de retrait britannique) a été voté le 18 janvier 2018 par la Chambre des Communes, la Cour européenne de justice doit se prononcer sur un recours préjudiciel d’un tribunal britannique qui risque de mettre à mal un partenariat stratégique UEMaroc fondamental pour les deux rives de la Méditerranée. Cette décision sera obligatoire pour toutes les juridictions nationales des Etats membres sauf probablement celles du pays par qui le séisme aura été provoqué !
En effet, ce 27 février 2018, la CEJ (Affaire C-266/16) devra se prononcer sur une demande de décision préjudicielle présentée par la High Court of Justice (England & Wales Queen’s Bench Division, Administrative Court), suite à la saisine de l’association Western Sahara Campaign UK. WSC a introduit deux recours connexes par lesquels elle conteste la légalité de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc sur le principe du traitement tarifaire préférentiel accordé aux produits originaires du Sahara et conteste la possibilité offerte au ministre de délivrer des licences pour pêcher dans les eaux adjacentes au Sahara.
Le tribunal britannique a interrogé la CEJ sur quatre points. A ce stade, l’Avocat Général Melchior Wathelet a rendu ses conclusions le 10 janvier 2018. Celles-ci confortent le requérant et restent fidèles à la thèse politique défendue par l’Avocat.
Sur les deux premières questions relatives au champ d’application territorial de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc puis de l’admission de produits exempts de droits à l’importation, l’Avocat Général renvoie à l’arrêt rendu par la CEJ du 21 décembre 2016 dans l’affaire Conseil/Front Polisario, qui a suivi ses conclusions, stipulant que l’accord ne s’applique pas aux territoires du Sahara. Dès lors l’admission à l’importation dans l’Union européenne en exemption de droits de douane en vertu de l’accord d’association ne serait pas valide. Par lettre du 3 février 2017, la juridiction de renvoi a retiré ces deux questions préjudicielles en estimant qu’une réponse ne lui était plus nécessaire.
En ce qui concerne la question portant sur la validité de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc au regard du droit international, l’Avocat général ne prend nullement en considération les éléments objectifs liés au principe fondamental de la primauté des intérêts de la population stipulé dans l’article 73 de la Charte des Nations – Unies. Il néglige totalement les conclusions du rapport indépendant commandité par la Commission européenne intitulé « Evaluation rétrospective et prospective du Protocole à l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc » (septembre 2017). Ce rapport est une analyse objective et détaillée quant à l’impact positif de l’accord de partenariat pour l’Union Européenne et le Maroc et, en particulier pour les populations. Il montre notamment que La région administrative de Dakhla-Oued Eddahab qui a reçu le plus de financement de l’appui sectoriel (47% des budgets prévus) suivie par la région de Laayoune-Sakia El Hamra (19% des budgets). Le rapport indique que le protocole a été efficace dans son objectif de soutenir le développement durable du secteur de la pêche. L’Avocat général estime pourtant que « le fait que 80 % des projets qui bénéficient de ces 54 millions d’euros se situent au Sahara occidental ne veut rien dire en soi. » !
Il est en outre très curieux de constater que la demande du tribunal relative aux conditions du « droit de contester la validité d’actes de l’Union » par WSC alors que celle-ci ne fait valoir aucun droit au titre du droit de l’Union n’ait pas fait l’objet d’analyse et de réponse de la part l’Avocat général. Il se limite à indiquer qu’il s’agit d’une « ONG indépendante » alors que chacun sait qu’il s’agit d’un lobby du polisario. Comment est-il possible que la sécurité juridique des accords internationaux de l’UE puisse reposer sur de tels sables mouvants ?
La CEJ n’est pas tenue de suivre les conclusions de l’Avocat général en ce qui concerne la validité ou non de l’accord de pêche UE-Maroc qui par ailleurs arrive à échéance en juillet 2018. Le Conseil vient de donner mandat à la Commission pour entamer les négociations portant sur le renouvellement d’un tel accord. L’occasion est donnée à l’UE et au Maroc de sécuriser leurs relations en écartant tout parasitage. La formule devra être suffisamment judicieuse pour que cesse l’instrumentalisation du monde judiciaire à des fins politiques !
Latifa Aït-Baala Juriste en droit international Présidente d’Euromed-CDC