Depuis la mort de deux jeunes dans une mine clandestine de Jerada, dans le nord-est du pays, le 22 décembre, les habitants manifestent pour réclamer travail et développement. La colère gronde et inquiète les dirigeants marocains. Le quotidien La Croix y consacre une analyse fort pertinente sous la signature de Marie Verdier.
Houcine et Jedouane, deux frères de 23 et 30 ans, sont tragiquement morts noyés dans une mine de charbon désaffectée, le 22 décembre à Jerada. Depuis, la population crie sa colère dans la rue, refuse « la marginalisation » et réclame « une alternative économique » pour cette province déshéritée de la région de l’Oriental dans l’extrême nord-est du Maroc.
« On est chaque jour plus nombreux », souligne Ahmed Belkaty, représentant local de l’association marocaine des droits humains (AMDH). « Nous ne lâcherons pas tant que nous n’aurons pas des projets concrets de développement, le peuple a trop souffert de privations, dénonce-t-il. Chaque quartier ou village voisin a élu deux ou trois représentants pour élaborer collectivement la liste des revendications. »
Cette province de 100 000 habitants jouxtant l’Algérie a pâti de la fermeture, depuis 1994, de la frontière qui sépare les deux frères ennemis du Maghreb. L’arrêt de l’exploitation de la mine de charbon, qui employait encore 9 000 personnes au moment de sa fermeture en février 1998, a été le coup de grâce. Le magazine TelQuel a d’ailleurs baptisé cette province « Silicose vallée », tant sont nombreux les anciens travailleurs souffrant de cette maladie pulmonaire due aux inhalations de poussières de charbon.
L’accord social et économique de 1998 visant à compenser la fermeture du site n’a pas porté les fruits escomptés. Depuis vingt ans, pour survivre, nombre d’habitants n’ont d’autre choix que d’extirper illégalement du charbon, au péril de leur vie. « Il y a périodiquement des accidents mortels. En mai 2005, cinq jeunes sont morts de la même façon que Houcine et Jedouane », déplore Said Zeroual, également de l’AMDH.
Le ministre de l’énergie et des mines Aziz Rebbah, dépêché sur place mercredi après dix jours de manifestations, a promis que des « engagements clairs »seraient pris et qu’un « modèle de développement pour la province » serait élaboré. « Il nous faut un engagement plus large du gouvernement pour répondre aux besoins en matière d’emploi, de santé, d’éducation, etc. », relève Said Zeroual.
La colère à Jerada rejoint celle d’autres régions déshéritées du Maroc. Les manifestants ont baptisé leur mouvement « Hirak chaabi », « le mouvement populaire », à l’instar du hirak qui a soulevé pendant des mois la ville d’Al-Hoceima dans la région voisine du Rif. Le mal-être des habitants y avait explosé après la mort atroce de Mouhcine Fikri, un vendeur de poisson broyé par une benne à ordures le 28 octobre 2016.
Le roi Mohamed VI, dans son discours du trône en octobre, a lui-même prôné « un temps d’arrêt pour engager une réflexion critique » sur le modèle de développement qui laisse une partie des Marocains sur le bas-côté. Il n’a cependant pas mis un terme à la politique répressive.
Plus de 350 manifestants d’Al-Hoceima ont été durablement incarcérés, réduisant ainsi le Rif au silence. 54 d’entre eux, dont le leader du mouvement Nasser Zefzafi, ont été déférés devant la chambre criminelle de la cour d’appel de Casablanca. « Ils seraient financés par l’étranger et auraient conspiré pour porter atteinte à la sûreté de l’État et à l’unité du pays », fulmine l’un de leurs avocats, Abdelaziz Nouaydi.
Les journalistes ont également payé un lourd tribut. Hamid El Mahdaoui, déjà condamné à un an de prison ferme en septembre, vient de rejoindre les rangs de ces 54 détenus qui encourent les peines les plus lourdes. Le site d’information Badil.info, qu’il dirigeait, a dû fermer en octobre dernier.
« À Jerada les manifestants portent le drapeau marocain et brandissent le portrait du roi. Ils se limitent à réclamer du pain », souligne un manifestant, suggérant que la répression à Al-Hoceima répondait à des revendications politiques jointes aux réclamations d’ordre économique.
Marie Verdier - La Croix