Après son communiqué du 10 mai sur le boycott des produits de Centrale-Danone, le gouvernement revient au même sujet mais cette fois avec un ton différent.
Le gouvernement El Othmani a rendu public, très tard hier soir, un communiqué sur les conséquences des appels au boycott des produits de Centrale-Danone, notamment le lait. L'exécutif appelle les Marocains à revoir leur engagement dans cette campagne, expliquant que «la poursuite du boycott est à même de porter un grave préjudice aux coopératives du lait et aux producteurs qui y adhérent dont la majorité sont de petits agriculteurs et au tissu économique national dans ce secteur et dans d'autres secteurs».
Dans sa plaidoirie, l'exécutif a une nouvelle fois mis en garde contre les «conséquences négatives du boycott sur l'investissement national et étranger et du coup sur l'économie nationale». Un argument qu'avait brandi, début mai à la Chambre des représentants, le ministre des Affaires générales du gouvernement, Lahcen Daoudi, mais sans parvenir à convaincre l'opinion publique et la classe politique y compris au sein du PJD.
Promesse d'améliorer le pouvoir d'achat des Marocains
En vue de convaincre les Marocains de consommer de nouveau les produits de Centrale-Danone, le gouvernement El Othmani a promis de «lancer des initiatives destinées à améliorer le pouvoir d'achat des citoyens». Par ailleurs, l'exécutif a réitèré sa «détermination à contrôler le marché et la qualité des produits et à faire face aux spéculateurs et aux monopolisateurs». Mais sans préciser les mesures qu'il prévoit de prendre pour stabiliser la flambée des prix.
Et de conclure son communiqué en lancant un appel aux «citoyennes et citoyens de considérer la sensibilité de la situation et œuvrer pour éviter de porter davantage de préjudices aux agriculteurs et au secteur agricole et généralement à l'investissement national».
Le texte du cabinet El Othmani, comme le précédent publié le 10 mai, a rappelé que 120 mille agriculteurs et 600 mille familles dépendent financièrement de Centrale-Danone. Néanmoins, il n'est pas allé jusqu'à menacer de poursuivre en justice les auteurs de «Fake news».
La nouvelle sortie du gouvernement intervient au lendemain de l'annonce par la société française de réduire de 30% ses achats auprès des éleveurs et de licencier une partie des intérimaires.
Un boycott qui cache ses promoteurs et ses intérêts masqués
Lancé sur les réseaux sociaux, ce boycott entend protester contre la cherté des prix, et infléchir à la baisse les tarifs exercés par ces entreprises accusées d’occuper une situation de monopole dans leurs secteurs respectifs.
Depuis, l’activité des sociétés s’en ressent. On murmure une chute de 30 à 50% des chiffres d’affaires des entreprises concernées. Elles redoublent d’ingéniosité pour gérer leur communication de crise, et reconquérir le cœur des consommateurs.
Pas facile, car selon deux enquêtes d’opinion, entre 70 et 80% des Marocains soutiennent cet appel au boycott.
"Pour être entendus, il faut taper dans leur porte-monnaie"
Dans un café du centre-ville de Casablanca, Fayçal refuse la petite bouteille d’eau servie avec son expresso. Ce trentenaire au chômage suit le boycott, et ne consomme plus les produits des trois marques visées par le mouvement : "Il y en marre de la hausse des prix et des salaires qui n’augmentent pas", s’indigne-t-il. Pour lui, les instigateurs de cet appel au boycott ont vu juste : "Ils ont compris que pour que l’on soit entendus, il faut taper dans leur porte-monnaie", dit-il en référence aux patrons de ces holdings locaux.
Sur le terrain, les commerces rechignent souvent à accepter les livraisons d’eau concernée, faute de pouvoir écouler leur stock. Mahfoud, est gérant de café, il a dû refuser plusieurs livraisons habituelle et se tourner vers une autre marque d’eau. "Les fournisseurs viennent nous voir pour nous demander de prendre leurs produits parce qu’ils en ont de trop, déplore-t-il. Mais je leur dis que n’ai pas d’argent que je ne peux pas acheter un produit que je ne pourrai pas vendre, on ne peut pas faire ce qu’on veut."
"Les Marocains prennent conscience de leur pouvoir sur l’économie"
Pour les associations de consommateurs, ce mouvement est une victoire. "C’est la preuve que les Marocains prennent conscience de leur pouvoir sur l’économie", se réjouit Madih Ouadih de l’association Uniconso. Selon lui, la cherté de la vie n’est pas une vue de l’esprit : "C’est une réalité, le consommateur souffre avec Smig de 2000 à 3000 dh (environ 250 à 300 euros, ndlr) par mois ne peut pas joindre les deux bouts, sachant que le panier de la ménagère est compris entre 800 et 1000 dirhams (80 et 100 euros, ndlr)".
Sur les pages Facebook partagées par des centaines de milliers d’utilisateurs, certains messages l’affirment. Mieux vaut boycotter que de manifester. Les stations-services de l’enseigne boycottées sont très peu fréquentées.
À Mohammedia, à 30 kilomètres au nord de Casablanca, le syndicaliste Hoceine El Yamani, a vu venir ce mécontentement. Employé de la seule raffinerie du pays, la Samir, il est aujourd’hui inoccupé depuis sa mise en faillite il y a deux ans. Pour lui, l’activité de raffinage jouait le rôle de régulateur dans la fixation du prix du carburant : "Les 5 grands distributeurs du Maroc, qui détiennent 80 à 85 % du marché, ce sont eux qui dictent les prix finaux", affirme –t-il.
Sa section syndicale déplore depuis près d’un an la flambée des prix à la pompe, due à l’effet conjugué de la libéralisation de la devise et de la fin des subventions sur les produits pétroliers. Pour lui, ce mouvement est une nouvelle forme de protestation sociale, "parce que le Maroc est touché par les grandes répressions de liberté d’expression comme nous avons connu dans le Rif ou à Jerada. Les Marocains cherchent par tous les moyens à mettre fin à cette offensive sur leur pouvoir d’achat".
Audit en cours
Le gouvernement, qui a mis plusieurs semaines à sortir de son silence, a annoncé qu’un audit était en cours pour analyser les prix de grande consommation. Le Premier ministre Saad Eddine El Othmani a même appelé devant le parlement, les Marocains à "tourner la page" du boycott au nom de la préservation de l’emploi.
Mais le mécontentement est toujours vivace en ce mois de ramadan, marqué par une spéculation sur les prix. Des appels au boycott sont aussi lancés pour cesser de consommer du poisson dont le prix au kilo, atteint pendant le mois "sacré" des sommets.