Jeune Afrique :Alors que le Polisario cherche à s’installer dans la zone tampon séparant entre le Maroc et la Mauritanie, Rabat prend à témoin la communauté internationale. Sur le terrain, la crise prend une ampleur inédite.
En déplacement au Maroc, en début de semaine, le ministre des Affaires étrangères français a fait une déclaration qui réconforte la diplomatie marocaine dans sa démarche actuelle de trouver la meilleure riposte à la crise dans sa frontière sud avec la Mauritanie. « Nous suivons avec attention les évènements d’El Guerguarate et nous sommes préoccupés par le blocage. Nous pensons qu’il faut sortir de cette situation et nous saluons la responsabilité dont fait preuve le Maroc », a lâché Jean-Yves Le Drian, qui a tenu à rappeler à son « ami », Nasser Bourita, « la position constante de la France » pour soutenir la recherche d’une solution juste et durable au conflit du Sahara.
« Nous considérons le plan d’autonomie marocain comme une base sérieuse et crédible pour une solution négociée », a tenu à réaffirmer le locataire du Quai d’Orsay, probablement conscient qu’une reprise des négociations n’est pas pour demain.
No man’s land
Depuis le 20 octobre dernier, les éléments du Polisario opèrent un blocage du trafic civil et commercial terrestre entre le Maroc et la Mauritanie, en déployant des barrages de fortune entre le poste frontière d’El Guerguerate et celui de PK-55, où sont stationnés les garde-frontières mauritaniens. Un no man’s land de quelques kilomètres, considéré comme zone tampon par les accords de cessez-le feu de 1991. Mais si les incursions du Polisario dans cette zone ont été récurrentes ces dernières années, généralement à la veille des votes de résolutions onusiennes, le campement de fortune semble devenir permanent cet automne.
« La dernière résolution du Conseil de sécurité a été perçue comme favorisant un statu quo qui arrange plus le Maroc que la partie adverse vu son avantage sur le terrain, explique un spécialiste du dossier. Le Polisario cherche alors à compenser en faisant de son installation dans cette zone-tampon une situation durable et mettre ainsi la communauté internationale devant le fait accompli. »
La presse marocaine a d’ailleurs fait état d’un déploiement militaire du Polisario dans cette région, avec des batteries antiaériennes et des caches d’armes dissimulées sous les tentes de civils… Via un communiqué du 9 novembre, le Polisario a averti que « l’entrée de tout élément militaire, sécuritaire ou civil marocain » dans la zone-tampon « sera considérée comme une agression flagrante, à laquelle la partie sahraouie répliquera énergiquement, en légitime défense et en défendant sa souveraineté nationale ».
Le mouvement sahraoui a lancé une alerte générale appelant ses combattants à la « mobilisation » et à la « vigilance ». Pour autant, l’armement vieillissant du Front Polisario, ainsi que l’impossibilité pour lui de se lancer dans un conflit sans l’aval des autorités algériennes, lesquelles sont aujourd’hui surtout préoccupées par la crise sanitaire, exclut a priori un conflit de grande ampleur.
« Préoccupation »
Face à ce qu’il considère comme une remise en cause du statut juridique de la zone tampon, le Maroc a plutôt opté pour l’option diplomatique. En coulisses, il met en exergue l’indifférence du Polisario aux injonctions répétées de l’ONU de ne pas entraver le trafic et de se retirer d’El Guerguerate. « Depuis 2017, pas moins de cinq résolutions du Conseil de sécurité expriment une “préoccupation” quant à ces incursions qui torpillent les efforts de paix, affirme un diplomate marocain. Idem pour le secrétaire général de l’ONU qui à trois reprises a lancé des appels pour la préservation de la liberté de circulation civile et commerciale à Guerguerate. Le Polisario défie l’ensemble de la communauté internationale ». La mission onusienne censée préserver le calme dans la région se retrouve ainsi impuissante.
Le royaume, qui fait jusqu’à présent preuve de retenue, cherche à prendre à témoin la communauté internationale de ces violations. En plus du ministre français des Affaires étrangères, plusieurs hauts responsables africains ont critiqué ces agissements, dont Ismail Cheikh Ahmed, le chef de la diplomatie de la Mauritanie, laquelle se retrouve directement affectée par la crise qui prend une ampleur inédite.