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Maroc : Appel au boycott des produits de marque

Des appels à boycotter des produits de grande consommation ont été relayés ces derniers jours sur les réseaux sociaux. Des artistes se joignent à cet appel. Une contestation de la vie chère qui met aussi en relief une fracture sociale et une défiance envers les élites économiques.

Depuis quelques jours, la toile marocaine est saturée d'appels au boycott. Les cibles : le lait de Centrale laitière, une compagnie majoritairement détenue par Danone, l'eau minérale Sidi Ali, propriété de Miriem Bensalah Chaqroun, présidente du patronat marocain, ainsi que les carburants des stations Afriquia, qui appartient à Aziz Akhannouch, milliardaire marocain à la tête du Rassemblement national des indépendants (RNI).

Justifié, selon ses initiateurs, par les prix de vente élevés du lait, de l'eau minérale ainsi que des carburants, le boycott a été à l'origine de débats passionnés. D'autant qu'il survient à l'approche du Ramadan, mois de dépenses pour les foyers, et dans le sillage des mobilisations collectives qui ont enhardi la rue marocaine, au Rif et à Jerada.

Inédit par son ampleur – selon le journal marocain Akhbar Al Yaoum, 38 stations-services Afriquia, situées dans des centres commerciaux et connaissant généralement une très grande affluence, ont perdu 31 % de leur chiffre d'affaires depuis le début de la campagne –, le boycott l'est tout autant par le discours de désobéissance civile qui le porte et dont il se fait aussi le relais, politisé sur les bords, brassant des demandes : baisse des prix de leurs produits, amélioration du niveau de vie, justice sociale.

Ses initiateurs adoptent une posture de défiance envers les grandes entreprises marocaines, accusées de « s’enrichir sur le dos des citoyens » et tracent volontiers une ligne de démarcation entre le « peuple » et les élites économiques, en faisant resurgir une fracture sociale et en cherchant à inverser les rapports de force.

Beaucoup d’artistes marocains, de tous bords, ont choisi de soutenir la campagne du boycott. "Nous ne demandons que du respect". C’est la réponse que fait le rappeur marocain Al Kayssar au magazine Tel Quel lorsqu'il est interrogé sur son soutien à la campagne visant Afriquia, les produits des eaux minérales Oulmès et ceux de Centrale Danone. Un "respect" que l’artiste estime ne pas avoir obtenu de la part de "ceux pour lesquels les Marocains ont voté et qui les ont ensuite méprisé", affirme le rappeur, en référence aux déclarations du ministre de l’Economie qui a qualifié les boycotteurs "d’étourdis".

Ce soutien au citoyen marocain, Al Kayssar n’est pas le seul artiste à l’évoquer comme argument de soutien à la campagne de boycott. C’est également le cas de Don Bigg qui, dans une publication sur son compte Facebook officiel, assène que "le peuple a le droit de boycotter le produit qui lui semble cher. Si cela dérange, il n’y a qu’à baisser les prix."

Un argument similaire est avancé par  la chanteuse Latifa Rafaat, qui a affiché son soutien au mouvement à travers une publication Instagram dans laquelle on la voit poser devant les tanneries de Fès. Contacté par Telquel.ma, son manager affirme que l’artiste "est avec le peuple" et qu’elle ne s’inquiète pas des retombées de son soutien car "elle ne fait pas de campagne publicitaire".

La campagne de boycott a même reçu des soutiens à l’étranger, comme celui de la chanteuse Asmaa Lamnawar. Pour elle, les Marocains résidant à l’étranger soutiennent la campagne de boycott, étant donné qu’ils l’ont "débuté avant tout le monde, en étant obligé de traverser  la mer pour améliorer [leur] situation sociale et celle de [leur] proche visant sous le seuil de pauvreté".

Du côté des politiques, on observe d'une part une condamnation de cette campagne par des ministres, et des soutiens au boycott par des partis politiques. Selon les ministres qui ont pris position, cette campagne irait à l'encontre des intérêts de l'économie marocaine. Au Parlement, le ministre des Finances Mohamed Boussaid a qualifié les boycotteurs d'« étourdis », leur reprochant de vouloir affaiblir des «entreprises structurées employant du personnel et payant leurs impôts » au lieu « d’encourager l’entreprise et les produits marocains ». Adil Benkirane, directeur achat et amont laitier de Centrale Danone, amartelé que les Marocains devaient « consommer les produits locaux ». « Ces 400 000 éleveurs qui se réveillent dès l'aube pour traire leurs vaches, si la consommation baisse, que vont-t-il faire de ce lait ? », a-t-il lancé en affirmant que « boycotter ces produits est une trahison à la patrie ».

Aziz Akhannouch, qui a soigneusement évité d'évoquer le cas de son entreprise, a endossé sa casquette de ministre de l'Agriculture pour défendre « les produits marocains qui continuent d’évoluer ». Pour lui, cette campagne de boycott est « virtuelle » et « sans impact ».

Pour Nizar Baraka, secrétaire général de l'Istiqlal, parti de l'opposition, « le boycott reflète la souffrance des citoyens face à la cherté de la vie », a-t-il déclaré lors d'une émission radio. Au cours de la même émission, Baraka a expliqué que le boycott était « un nouveau moyen utilisé pour porter des revendications sociales », et a appelé le gouvernement à « saisir le message ».

Nabil Benabdellah, secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme (PPS), parti de la majorité gouvernementale qui cultive une liberté de ton vis-à-vis du reste de l'exécutif, considère quant à lui que « ces phénomènes d'expression spontanée que l'on retrouve aujourd'hui sur les réseaux sociaux doivent retenir notre attention ». 

Des critiques contre un boycott très politicien

Enfin, une partie du public critique ce boycott car ils y voient la main de politiciens déchus qui tendent à prendre une revanche. C'est le cas, par exemple, de Mohamed Reda Taoujni qui écrit sur Youtube : "Je ne boycotte ni Afriquia, ni Sidi Ali ni Centrale laitière car d'abord en les boycottant je menace des milliers d'emplois donc je menace aussi l'avenir de milliers de familles marocaines puis cet appel au boycott n'est que règlement de comptes politiciens à des fins électorales. Arrêtons de manipuler le peuple marocain et concentrons nous sur les vrais problèmes de notre pays et défis à relever. Œuvrons avec patriotisme, sérénité et professionnalisme à un Maroc meilleur et uni."

Il est vrai que dès l'apparition des appels au boycott, le principal questionnement a porté sur ses initiateurs, anonymes. Les regards se sont tournés vers des membres du Parti de la justice et du développement (PJD, islamistes). D'autant que l'ancien chef déchu du gouvernement Abdelilah Benkirane avait dénoncé quelques mois auparavant « le mariage entre politique et affaires », allusion faite à Aziz Akhannouch. Ses relations quelque peu tendues avec Miriem Bensalah Chaqroun (eau minérale Sidi Ali) sont connues, et il avait, en 2014, appelé au boycott des yaourts Danone. L'homme était, pour ainsi dire, le coupable idéal.

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