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Le spectre du néofascisme inquiète les Marocains en Italie

A l’issue des élections législatives en Italie, dimanche 25 septembre, le parti néofasciste Fratelli d’Italia, mené par Giorgia Meloni, est arrivé en tête. Des MRE d'Italie se montrent inquiets.

Vice présidente de l’Association des travailleurs marocains en Italie, conseillère au Parti démocrate (PD) à Bologne, Nadia Ben Omar a fait part à Yabiladi de sa déception et de son désarroi, au lendemain de la nuit électorale. A Bologne, où sa formation de gauche est traditionnellement élue, le parti a cependant conservé sa majorité, avec des responsables reconduits. «Bologne garde ainsi son empreinte historique de ‘ville rouge’, mais c’était notre seule joie, à l’issue du scrutin. Nous restons très sceptiques pour la suite, au niveau national», nous a-t-elle déclaré.

L’extrême droite envahit les fiefs des partis traditionnels

Dans le reste du pays, Nadia Ben Omar décrit «un revirement malheureux, au point où le nord, acquis à Salvini, a basculé aussi vers l’extrême droite de Meloni, tout comme les autres régions de l’extrême nord». Au sud, les électeurs ont été plus nombreux à élire le Mouvement cinq étoiles (M5S). Au sein de la gauche, les votes sont restés très dispersés, par la multiplicité des listes électorales (entre 6 et 7) qui ont donné des scores extrêmement bas et épars entre les candidats. «Un autre changement frappant est que même le vote des immigrés a été divisé. Traditionnellement électeurs de gauche, leur choix s’est scindé hier entre le Parti démocrate et, pour la première fois d’une manière assez frappante, le M5S», souligne la responsable.

«Il faut dire clairement que le parti de Meloni est bien fasciste», affirme Nadia Ben Omar. Selon elle, «le débat sur le droit du sol se voit menacé, maintenant qu’elle a envahi les deux Chambres du Parlement».

«Les campagnes électorales de droite ont toujours tiré à boulet rouge sur les étrangers. Mais la campagne de Fratelli d’Italia a été menée cette année non seulement contre l’immigration, mais aussi contre l’islam, avec des discours banalisés non seulement xénophobes, mais aussi racistes au sens primaire et fasciste du terme.» Nadia Ben Omar

Chantre de l’idéologie de Mussolini bien avant, Giorgia Meloni doit l’étape finale de son ascension politique au sein de l’opposition depuis 2018 aux failles de gestion de la crise sanitaire, au début de la pandémie de la Covid-19. «Avec des critiques acerbes au gouvernement de Giuseppe Conte, puis celui de Mario Draghi, elle a gagné encore plus en popularité, tout en s’en prenant déjà à l’immigration et aux prestations sociales au bénéfice des familles immigrées», rappelle Nadia Ben Omar.

Pour elle, la nouvelle gagnante des élections «a joué aussi sur les désaccords des partis de gauche, qui n’ont pas réussi à se grouper comme ceux de droite». «La loi sur la nationalité et la naturalisation pourrait être l’objet de débats très controversés», confie-t-elle.

L'inquiétude de la journaliste Karima Moual 

Journaliste politique et éditorialiste à La Stampa et à La Repubblica, Karima Moual analyse que «quiconque connaît bien l’Italie et son histoire sait que c’est un pays aux racines très conservatrices ; bien qu’au fil des années, il y ait eu des intermèdes de gouvernements de gauche et progressistes, il a toujours été difficile, voire impossible, d’aborder certains sujets chers à la droite conservatrice».

La journaliste maroco-italienne évoque également les lois sur la nationalité pour les étrangers, mais aussi d’autres questions comme l’euthanasie et les droits LGBT, dans un contexte «très difficile» où «le pays a été frappé par une paupérisation et un endettement sévères» ayant fait souffrir les classes sociales les plus vulnérables. «Tout ce chaos, accompagné de colère et de peurs, a été canalisé par le parti de Giorgia Meloni, qui a réussi à rester dans une opposition qui l’a fait grandir ces cinq dernières années».

«Malheureusement, au sujet de la diversité et des communautés étrangères en Italie, nous avons fait un pas en arrière au lieu d’avancer. ‘L’immigré’, depuis quelques années, est devenu le fétiche des campagnes électorales. A droite, il cristallise la menace et la peur. A gauche, il n’y avait que de très beaux slogans sur l’intégration et la reconnaissance de la ressource ‘immigré’, mais dans la pratique, on ne trouve pas de réelle représentativité forte politiquement.» (Karima Moual)

Une dirigeante qui doit être «plus responsable»

Yassine Lafram, président de l’Union des organisations musulmanes en Italie, qui regroupe les associations culturelles islamiques et les mosquées du pays, estime également que la campagne électorale «s’est construite essentiellement sur le dénigrement des immigrés et des musulmans». «Nous ne nous sentons pas rassurés sur ce qui adviendra de la gestion de ces questions, avec Meloni aux commandes de l’exécutif puisqu’elle le revendique. Cela dit, nous savons aussi que si elle veut former un gouvernement, elle sera obligée de composer avec d’autres tendances, notamment de centre-droit», estime-t-il.

En tant que représentant de la plus grande organisation regroupant les associations musulmanes d’Italie, Yassine Lafram se dit confiant dans l'Etat de droit. «Nous avons confiance en les institutions de notre pays et en sa constitution, à laquelle nous adhérons entièrement. Nous nous attendons toutefois aux tentatives de Meloni pour amender des lois en vigueur, mais nous restons confiants dans la mobilisation de la société civile. Si elle veut préserver son exécutif, elle sera tenue de ne pas aller au-delà de ce que lui permet notre constitution», souligne-t-il. Toutefois, Nadia Ben Omar et Yassine Lafram évoquent un possible «tour de vis sur les mosquées et les lieux de culte», d’autant que les discours de Meloni associent souvent l’islam au terrorisme.

Pour sa part, Karima Moual dit espérer que Giorgia Meloni «sera plus responsable». «Elle n’est plus dans l’opposition mais appelée à gouverner l’Italie, un pays qui nous appartient à tous, y compris les personnes d’origine étrangère comme moi. J’espère qu’elle se souciera du sort du pays et qu’elle œuvrera pour cicatriser les plaies au lieu de creuser des fossés. J’espère aussi qu’elle saisira cette occasion pour montrer qu’elle peut être raisonnable et non pas pour se trouver nécessairement un ennemi dans l’autre», plaide la journaliste maroco-italienne. «La xénophobie est une menace réelle pour tout le monde. L’enjeu est notre coexistence civile à tous, l’avenir de l’Italie et de l’Europe», insiste-t-elle.

Si les résultats ne sont pas contestés au sein des partis traditionnels, le nouveau tournant qu’ils constituent reste mal vécu par d’autres tendances. A Milan, des manifestations antifascistes se sont tenues dès ce lundi.

 

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