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MRE de Corse : le regard de Najoua El Berrak, consule générale du Maroc

Nommée consule générale du Maroc en Corse il y a quatre mois, après un poste à Rennes, Najoua El Berrak dresse un bilan de ses premiers chantiers, et se projette sur l'année 2023. Pour la première communauté étrangère de l'île (42 000 ressortissants), les perspectives sont nombreuses. Elle s'en est expliquée à Corse Net Infos lors d'un entretien avec Thibaud Kerebel.

- Comment s’est passée votre découverte du territoire, avez-vous réussi à comprendre ses besoins et ses particularités facilement ? 
- Les besoins de mes compatriotes sont à 90 % les mêmes, que ce soit en Corse ou ailleurs. Les prestations sont connues. Après, il y a des spécificités, et on s’adapte en fonction des besoins de chacun, mais ce n’est pas si compliqué.
 
- Avez-vous le sentiment, après vos quatre premiers mois passés ici, que la communauté marocaine est bien intégrée en Corse ? 
- Cette question de l’intégration, elle revient tout le temps. Si les marocains ne se sentaient pas bien, il partiraient. On parle quand même de la 3e et de la 4e génération. Mes compatriotes se sentent Corses, ils sont nés ici, ils ne connaissent que ça. Quand ils partent au Maroc, c’est pour les vacances. Certes, il y a une culture d’origine qu’on ne peut pas effacer, mais il y a ensuite la vraie vie, les études, les amis… Et tout ça, ça se passe en Corse, et pas au Maroc.
 
- Est-ce qu’il y a quand même une progression à faire sur ce plan-là ? Par rapport à d’autres communautés.
- Je suis prête à vous dire que ce sont les Marocains qui sont les mieux intégrés. Ce sont les Marocains qui parlent la langue corse, ils sont présents dans les montagnes, ils se sont adaptés au territoire. Quand on est là depuis 50 ans, on ne peut pas être mal intégrés.
 
- Dans le fond, est-il possible de faire cohabiter deux cultures fortes ? 
- Quand on arrive, on arrive avec notre identité, et on ne peut pas l’effacer. L’intégration, ça ne veut pas dire qu’il faut mettre de côté toute ta culture et la remplacer, ça ne peut pas marcher comme ça. C’est tout un équilibre, mais il fonctionne plutôt bien ici, puisqu’il y a beaucoup de points communs entre corses et marocains.
 
- Lesquels ?
- La plupart de mes compatriotes viennent du nord du Maroc, où on retrouve aussi des caractères très forts. Ça amène une estime entre les deux cultures. Et puis ce sont des peuples des montagnes, ce qui joue sur la façon de vivre. Le respect, l’amour de la terre, le sentiment d’appartenance… Il y a beaucoup de liens naturels. On peut aussi parler des paysages. Moi-même, quand je suis arrivée ici, je ne me suis pas sentie dépaysée. La faune et la flore sont presque identiques. Ça m’a directement rappelé mon enfance.
 
- Vous, justement, comment s’est passée votre intégration en Corse ?
-Je suis la première femme marocaine à prendre ce poste, donc j’ai suscité la curiosité de tout le monde ici en Corse. Et dans mon travail, ça m’a aidé à aller à la rencontre des décideurs. Quand les gens voient une femme au consulat, dans un pays conservateur, ça apporte des sollicitations.
 
- Le but de votre travail est de favoriser l’entente entre les deux territoires. Mais concrètement, quelles relations peuvent se créer ?
- Déjà, on peut avoir une coopération académique entre l’université de Corte et les universités du Maroc. C’est quelque chose qui peut être bénéfique pour la recherche et le développement. Que ce soit dans le domaine maritime, agricole, historique, littéraire… Ensuite, il y a le côté culturel, notamment avec la musique. Ce serait très bien de créer des passerelles entre la musique corse, qui est sublime, et la musique sacrée marocaine. La richesse de la musique, elle se situe dans l’échange. Donc si on crée un dialogue, ça peut être magnifique.
 
- En plus des aspects universitaires et culturels, il y a évidemment une passerelle économique à développer.
- Évidemment, mais je veux aller au-delà de la simple main d’œuvre saisonnière. Je ne veux pas qu’on me parle uniquement des saisonniers marocains, c’est un sujet que je veux dépasser. Cette question est évidemment dans mes projets de 2023, mais ce n’est pas tout. Au Maroc, on a une industrie automobile, aéronautique, maritime… Donc là-dessus, on peut apporter à la Corse en terme de savoir-faire. Concrètement, il faut mettre tous les acteurs autour d’une table pour connaître les besoins précis, et définir une feuille de route. Il y a beaucoup de choses à mettre en place. Donc il faut commencer par des petits projets, pour donner l’occasion à des projets plus ambitieux de se développer par la suite. Il faut établir un socle.
 
- Avez-vous déjà des idées ? Par quoi peut passer ce "socle" ?
- Il faut créer un lien concret entre les deux territoires. À savoir une ligne aérienne régulière entre Bastia et le Maroc. C’est urgent, au vu de ce qu’on veut développer. L’idée, ce serait de lier Bastia avec la région de Fès-Meknès (au nord du pays, NDLR), qui est prédisposée à travailler avec la Corse. Que ce soit sur le plan de l’agriculture, du tourisme, de la musique, ou même de la chasse.
 
- Une date est déjà prévue pour la mise en place de cette ligne aérienne ?
- Ça ne dépend pas que du consulat du Maroc ! L’objectif, c'est vraiment de le faire le plus tôt possible. Mon vœu, c’est 2023, mais il y a plein d’acteurs qui doivent s’accorder. La compagnie, la collectivité, l’aéroport… Nous travaillons là-dessus, c’est un chantier prioritaire. C’est par cela que tout va passer.

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