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Point-de-vue : Une femme peut-elle devenir imam ? (Najib Lahlou)

En rédigeant son ouvrage « Repenser l'imam en France. Osons le bons sens », son auteur, Najib Lahlou, a redécouvert un Hadith authentique qui lui est apparu pour le moins révolutionnaire pour l'époque. Il tord le cou à tous ceux et celles qui voient en Islam une religion rétrograde qui déconsidère les femmes et leurs droits. Ce Hadith a été le thème principal d'un prêche du vendredi dans une mosquée réputée appartenir à des « barbus ».

Après des études d’ingénieur, de gestion d’entreprise et de psychologie des processus cognitifs, Najib Lahlou a développé un parcours professionnel lui permettant de déployer ces trois grandes familles de compétences. Il se revendique, pour lui-même, « un esprit cartésien, une vision contextuelle et une sensibilité humaine ».

La redécouverte du Hadith cité précédemment l’a encouragé à écrire un point-de-vue sur « l’Imamat et les femmes ». Maglor est heureux de le publier ci-dessous avec l’autorisation de l’auteur.

Rappel du Hadith

Selon Ibn Abbas (Compagnon du prophète -spsl-) : Le mari de Barira se nomma Moughith (qui était esclave). Je le voyais la suivre en pleurs et les larmes coulaient sur sa barbe. Le prophète -spsl- disait à Abbas : Ô Abbas ! Tu n'es pas étonné de l'amour de Moughith pour Barira et du désamour de Barira pour Moughith ? Et le prophète s'adressa à Barira et lui demanda de revenir à son mari. Barira lui demanda s'il s'agissait d'un ordre ou d'une simple intercession. Le prophète lui précisait qu'il ne s'agit que d'une simple intercession. Barira lui rétorqua : « je n'ai plus besoin de lui ».

L’histoire

Barira était une femme très intelligente à l'époque du prophète (Salut et Paix Sur Lui -spsl-), Elle était esclave et elle voulait racheter son affranchissement auprès de celui à qui elle appartenait. Elle s'est adressée à Aïcha (une des épouses du prophète) pour lui prêter de l'argent. Ce fût le cas.

Barira est donc devenue libre. Mais auparavant, elle était mariée à un homme qui se nomma Moughith, et ce dernier était esclave. Et à l'époque la juridiction autorisait le divorce d'une femme affranchie de son mari de rang inférieur. Barira n'a pas hésité à faire usage de cette juridiction pour se séparer de son mari. Celui-ci était follement amoureux d'elle et surtout le couple avait un enfant de ce mariage.

Moughith était tellement amoureux de Barira au point qu'il la suivait en pleurs dans l'espoir de revenir au foyer. Devant cette scène, Abbas demanda au prophète -spsl- d'intervenir. Ce dernier s'adressa à Barira pour lui demander de revenir à son mari. Barira demanda au prophète de préciser sous quelle forme cette demande est formulée, s'il s'agit d'un ordre ou d'une simple intercession. Car dans le cas d'un ordre, Barira devrait s’exécuter puisque l'obéissance au prophète fait partie de la foi.

Mais le prophète précisait qu'il ne s'agit que d'une simple intercession. Et Barira exerça son droit jusqu'au bout en maintenant son refus de retour au foyer. Elle renforce ce refus en précisant qu'elle n'a même pas besoin de lui.

 

Le point de vue de Najib Lahlou

Il y a énormément de renseignements que l'on peut tirer de ce Hadith, voyons quelques-uns :

Pour tout musulman, le prophète incarne le modèle par excellence à suivre pour faire face à toutes les situations que l'on pouvait vivre dans son quotidien. C'est d'ailleurs par respect et estime à son égard qu'on rajoute souvent l'expression Salut et Paix Sur Lui (spsl) à chaque fois qu'on évoque son personnage.

Dans ce Hadith, le prophète -spsl- se trouve devant une situation sentimentale qui l'a affecté, il se montre d'autant plus sensible qu'il s'agit d'un homme de rang « esclave », mais follement amoureux de sa femme. Ceci montre l'importance des sentiments mutuels dans la vie du couple, et donc l'absence de ces sentiments exposerait le couple à un déséquilibre, voire à une séparation. Le prophète -spsl- avait compris ceci, il décida donc d'intervenir. Ceci montre également que les sentiments n'ont pas de couleurs et ne connaissent pas de frontières sociales.

  • L’héroïne du Hadith était esclave, elle avait décidé de s'affranchir et de se séparer de son époux. D'où la légitimité d'une femme de penser à s'élever socialement quitte à mettre en péril son foyer. L'initiative doit d'abord venir d'elle-même. Évidemment je ne pense pas que ce Hadith pousse les femmes à mettre leur statut social au-dessus de l'équilibre familial, mais je pense d'une part que les femmes devraient associer leurs maris à cet élévation sociale, et d'autre part que les maris devraient accompagner leurs femmes  à cet élévation. Il n'y a pas pire situation que celle où le couple n'a pas de vision sociale homogène. Hélas, on trouve encore des maris qui empêchent leur femme de s’élever socialement ou professionnellement.
  • Barira qui n'avait pas les moyens, avait demandé à Aïcha de lui prêter de l'argent, ce que Aïcha avait accepté. Soulignons ici une certaine forme de sororité.
  • Dans certaines versions, le prophète -spsl- lui-même participait activement au déroulement de cette transaction.
  • Devant l'état émouvant et larmoyant de Moughith, le prophète -spsl- intervient, mais en tant que fil-blanc, tout en légitimant la place des sentiments dans le couple, et en particulier en tenant compte du fait que ces sentiments ne peuvent obéir à des ordres. Ceci ouvre la voix aux responsables religieux et principalement aux imams de s’intéresser à cet aspect familial. Outre qu'ils devraient empêcher les mariages forcés, les imams devraient absolument étudier et transmettre aux hommes les bases de la psychologie des femmes, et aux femmes les bases de la psychologie des hommes. Ils devraient même s'impliquer activement pour faciliter les conditions favorisant les rencontres et donc les mariages de ceux et de celles qui le désirent.

 

  • Barira décidée de s'émanciper, ne s'est laissée impressionner ni par le statut du prophète -spsl-, ni par le service que sa femme Aïcha lui a rendu (prêt), ni même par son implication personnelle dans cette opération. Barira s'est sentie accomplie sans homme en s'occupant seule de son enfant.

 

Les femmes peuvent-elles devenir imams ?

 

À travers ce Hadith, on a tendance à croire que le champ de liberté de la femme est extrêmement large en Islam, mais peut-il aller jusqu'à lui permettre de devenir imam ?

Sur le plan théologique, je laisse les spécialistes s'exprimer sur ce sujet.

Sur le plan méthodologique et en tant qu'observateur extérieur et exerçant dans le domaine de la psychologie comportementale, je me permets de proposer une autre grille d'analyse, et je laisse le lecteur construire son propre avis sur la question.

Dans le livre que j'avais publié (Repenser l'imam en France. Osons le bon sens), il s'avère qu'il existe trois niveaux d'imam : Celui qui autorise à guider la prière, celui qui autorise à officier les prêches du vendredi et des fêtes religieuses, et celui qui autorise à émettre des avis théologiques.

J'avais précisé également que l'imam doit être accepté, adopté et apprécié par les fidèles, il ne peut pas s'imposer ou se parachuter dans une mosquée. Évidemment l'imam de son côté doit faire le nécessaire pour se faire accepter, adopter et apprécier par les fidèles de la mosquée où il est affecté.

 

Revenons maintenant à la question : la femme pourrait-elle devenir imam ?

Sur le plan comportemental, la réponse se trouve entre les mains des fidèles, mais étant donnée la situation actuelle, je pense que femme-imam ne remporte pas encore l'adhésion globale de la communauté musulmane. La preuve en est, il n'existe que très peu de mosquées où officient les femmes, et ces mosquées restent très discrètes.

Posons maintenant la question sous un autre angle.

Quelle est l'intention pour une femme à vouloir guider la prière ou officier un prêche ? Est-ce pour s'affirmer en tant que femme dans un milieu d'hommes ou pour faire évoluer les mentalités de la société dans sa globalité ?

Je pense personnellement que guider une prière ou célébrer un prêche restent des actions purement symboliques, leurs effets risquent d'être limités, elles pourraient même mettre des cloisons entre les différents types de musulmans, surtout si l'ensemble de ces musulmans n'est pas prêt à voir des femmes imams dans leurs mosquées.

À l'état actuel des choses, je pense que la femme pourrait avoir plus d'impact si elle songe à devenir rectrice d'une mosquée, elle laisse les hommes guider les prières et célébrer les prêches. Par contre elle aura son mot à dire dans les activités de la mosquée : choix des profils des imams, des thèmes des prêches, des conférences, des interactions avec la société extérieure ...etc

On ne peut pas toujours changer les mentalités en les bousculant.

À défaut, elle peut créer une chaîne web/tv/radio pour interagir avec la société, organiser des événements et faire intervenir des hommes et des femmes qui débattent autours des causes qu'elle souhaite défendre. Elle peut aussi faire circuler des pétitions qui dénoncent l'amalgame systématique entre port du foulard et soumission, ou le fait de vouloir libérer certaines femmes musulmanes tout en brimant leur liberté.

Toutes ces actions bien-entendu, devraient être réalisées dans un état d'esprit responsable et respectueux des lois de la République.

 

Ce qui manque aux musulmans actuellement, ce n'est pas forcement la voix féminine, c'est plutôt la pensée féminine, et bien évidemment il n'y a pas mieux pour incarner cette pensée féminine que les femmes elles-mêmes.

 

À travers cet article, je voulais donner une idée sur l'ensemble des pistes de réflexion proposées dans le livre « Repenser l'imam en France. Osons le bon sens ».

Ce livre présente plusieurs particularités qui pourraient probablement enrichir les analyses des spécialistes. Parmi celles-ci il y a :

  • Une définition du bon sens comme étant le résultat de la lucidité et de la sincérité, cette définition permet au lecteur d'adopter une vision objective et éclairée sur le fait religieux dans un environnement social laïc.
  • Une classification comportementale des musulmans et des imams,
  • Une classification structurelle des mosquées,
  • Des perspectives d'évolution des musulmans en France,
  • Le rôle que peuvent jouer les femmes, les intellectuels musulmans, les mouvements soufis ainsi que les convertis dans cette évolution.
  • À l'instar du hadith relatant l'histoire de Barira, le livre contient une quinzaine de textes (Coran et hadiths) analysés et commentés de la même façon. Ce type d'opération permet au lecteur d'envisager de repenser sa propre façon d'appréhender les textes, et ce en tenant compte de sa situation et de ses convictions.

Bien d'autres points encore qui mériteraient une attention particulière dans les débats publics se trouvent dans ce livre.

Najib Lahlou
n_lahlou@hotmail.com      

7 février 2021

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