Nous sommes ravis de partager avec vous une entrevue exclusive menée par Maglor.fr avec Hussein Bakar Al-Sabai, avocat et expert en immigration, membre de la Commission régionale du Conseil national des droits de l'homme de la région de Souss-Massa. Cette interview approfondie aborde les enjeux et défis de la coopération entre l'Union européenne et le Maroc dans le domaine de l'immigration.
Hussein Bakar Al-Sabai offre des analyses pertinentes et des perspectives éclairantes sur des questions cruciales telles que la politique de coopération, les nouvelles mesures envisagées par l'Union européenne, et les défis auxquels le Maroc est confronté. Ses réponses détaillées fournissent un aperçu complet de la situation actuelle et des recommandations pour l'avenir.
1-Maglor : Pour commencer, quel est votre point de vue sur la politique de coopération en matière d'immigration entre le Maroc et l'Union européenne ?
Hussein Bakar Al-Sabai : Par le biais du mécanisme européen de voisinage, l'Union européenne finance des programmes axés sur l'intégration socio-économique des immigrants, la gestion des frontières, ainsi que la gouvernance en matière d'immigration, soutenant ainsi la stratégie nationale du Maroc en matière d'immigration et d'asile, ainsi que la stratégie nationale pour les Marocains résidant à l'étranger. Depuis 2014, la Commission européenne a alloué près d'un milliard d'euros pour soutenir le Maroc dans divers domaines, notamment :
- Assurer un accès équitable aux services sociaux de base ;
- Promouvoir la gouvernance démocratique et la primauté du droit ;
- Encourager la mobilité, l'augmentation des opportunités d'emploi, ainsi que la croissance durable et inclusive ;
- Renforcer les capacités de la société civile.
Les résultats obtenus jusqu'à présent comprennent le retour de près de 4557 immigrants dans leur pays d'origine grâce à une initiative conjointe entre l'Union européenne et l'Organisation internationale pour les migrations. De plus, environ 7963 participants, comprenant des migrants, des employés des autorités locales et des conseils régionaux, ont suivi des formations sur la gestion de la politique migratoire nationale et les droits des migrants. En outre, 23734 personnes ont bénéficié d'une assistance médicale, et 38651 services sociaux de base ont été fournis.
Les actions menées ont également permis le renforcement des systèmes d'immigration et d'asile, le développement de la capacité d'accueil, la protection des migrants, et la proposition de solutions durables. La facilitation de la migration organisée, sûre et régulière s'est concrétisée par des politiques de retour et de réintégration durables, axées sur la dignité, les droits et le développement. Le droit des migrants à une assistance juridique, notamment pour les mineurs non accompagnés, a été promu. En outre, la coopération sud-sud entre le Maroc et trois pays d'Afrique a été renforcée dans le domaine de la gouvernance de l'immigration. Les institutions nationales marocaines responsables de la gestion des frontières, de la lutte contre l'immigration irrégulière, et de la protection des migrants les plus vulnérables ont bénéficié de soutien. Enfin, le cadre institutionnel de l'immigration a été développé dans trois régions du Maroc pour renforcer la mise en œuvre des politiques migratoires au niveau local, tout en améliorant l'intégration sociale et la participation économique des communautés marocaines à l'étranger et des migrants résidant au Maroc.
2-Maglor : Les nouvelles mesures en matière d'immigration envisagées par l'Union européenne pourraient-elles accroître la pression sur le Maroc ?
Hussein Bakar Al-Sabai : Nous constatons que l'Union européenne attache une importance stratégique à sa relation avec la région du Sahel, en particulier les pays du G5 Sahel (Burkina Faso, Tchad, Mali, Mauritanie et Niger), en termes de sécurité, de stabilité, d'engagements en matière de développement durable et de gestion des voies migratoires vers l'Europe. La nécessité accrue pour l'Union européenne de renforcer ses partenariats avec les pays du Sahel est devenue évidente, en particulier à la suite des crises énergétiques résultant de l'invasion russe de l'Ukraine en 2022. Cependant, les coups d'État militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger, la compétition multipolaire avec la Russie et la Chine, ainsi que le retrait des forces françaises du Mali, mettent en lumière les lacunes de la stratégie de l'Union européenne pour atteindre ses objectifs dans la région du Sahel.
Quant au Maroc, d'énormes efforts ont été déployés pour gérer le dossier de "l'immigration irrégulière", qui a connu une croissance significative. La Direction générale des Forces armées royales a révélé qu'en 2023, environ 87 000 candidats à l'immigration irrégulière, principalement originaires d'Afrique subsaharienne, ont été interceptés dans le cadre de la surveillance des frontières, des zones maritimes et de la lutte contre les menaces transfrontalières, en coordination avec les forces de maintien de l'ordre.
La région du Sahel a été le théâtre de divers conflits au cours des deux dernières décennies, entraînant la fragilité des États, une mauvaise gouvernance, le chômage, des conflits ethniques, l'exploitation étrangère des ressources et une intervention militaire étrangère. Tout cela a conduit à une augmentation de la pauvreté, du désespoir et de l'immigration illégale. Les initiatives sécuritaires occidentales ont souvent complexifié davantage les problèmes au lieu de les résoudre.
3-Maglor : Est-ce que les nouvelles mesures que l'Union européenne et plusieurs blocs de nations vont mettre en œuvre dans le domaine de la migration pourraient exercer davantage de pression sur le Maroc dans ce contexte ?
Hussein Bakar Al-Sabai : Il est évident que le Maroc fait face à une pression croissante de la part de l'Europe concernant les questions liées à la gestion de la migration, compte tenu de l'importance géostratégique du Royaume. Cependant, le Maroc ne devrait ni céder à ces pressions ni s'enfermer derrière elles au détriment du respect des droits humains des migrants et du respect de ses responsabilités conventionnelles. Au contraire, il devrait prendre des mesures préventives et maintenir sa position, à l'instar de son refus de la proposition de l'Union européenne concernant les "plateformes de débarquement régionales".
Il n'est pas approprié que le Maroc prétende être un acteur clé et héroïque dans un dossier aussi crucial que la migration sans établir un cadre approprié, spécifique à cette problématique. Ainsi, il est impératif de compléter les systèmes de protection légale et institutionnelle, tout en comblant l'écart entre la loi et la pratique. Il est essentiel de garder à l'esprit que les lois ne sont que des textes sur papier si elles ne sont pas mises en œuvre et appliquées de manière efficace. Par conséquent, il est temps que le Maroc mette en œuvre de manière effective les lois qu'il a promulguées et accélère la création de celles qui font défaut pour construire un mécanisme de protection spécifique.
Si le Maroc aspire à améliorer son bilan en matière de droits de l'homme et à garantir le respect total des droits de l'homme pour les personnes relevant de sa juridiction, il doit se conformer aux organes des traités régionaux et internationaux en soumettant ses rapports en temps voulu et en acceptant les procédures de traitement des plaintes individuelles. Il est également impératif que le Maroc suive les mécanismes des droits de l'homme de l'Union africaine, notamment la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, et la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, assurant ainsi une certaine responsabilité, car un système dépourvu de responsabilité encourage les violations.
D'autre part, l'Union européenne doit adopter une vision réaliste et humanitaire dans la formulation et la mise en œuvre de politiques de surveillance de la migration. Il serait également logique de procéder à une évaluation de l'impact de ces politiques et de veiller à ce que leur application ne conduise à aucune violation des droits de l'homme. L'Union européenne devrait également établir des organes de surveillance garantissant la gestion de la migration tout en respectant pleinement les droits des migrants, et collaborer avec les pays d'origine et de transit pour trouver des solutions durables, ouvrant ainsi les portes de l'Europe à ceux qui ont besoin de protection. Transférer le fardeau ou déléguer la surveillance des frontières à des pays tiers ne constitue pas une solution viable.
4-Maglor : Quelles sont les exigences actuelles pour mettre à jour la politique de coopération UE-Maroc en matière d'immigration ?
Hussein Bakar Al-Sabai : Ces vingt dernières années, la gestion de l'immigration et de la sécurité a occupé une place centrale dans la coopération multilatérale entre le Maroc et l'Union européenne. L'Initiative de Rabat, lancée en 2006, sert de plateforme de dialogue régional visant à impliquer les pays d'origine, de transit et de destination dans la gestion de l'immigration. Le partenariat de mobilité conclu entre le Maroc et l'Union européenne en 2013 témoigne d'une réorganisation des priorités.
L'Union européenne a établi des cadres politiques et les a activés par le biais d'une série d'accords financiers, dans le but de maintenir les migrants éloignés de ses frontières autant que possible. Cela nécessite la participation active des pays partenaires tels que le Maroc, considéré par l'Union européenne et ses États membres, en particulier l'Espagne, comme un partenaire clé et dynamique dans la question de l'immigration.
Les politiques d'immigration de l'Union européenne et de ses États membres cherchent effectivement à conférer au Maroc le rôle de "gendarme de l'Europe", un rôle que le Maroc rejette catégoriquement. En 2013, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération de l'époque a clairement exprimé le refus du Maroc d'assumer le rôle de gendarme européen. Cependant, la position politique publique du Maroc sur cette question diffère de la réalité sur le terrain. Les pressions de l'Union européenne (politiques, économiques et financières) et les engagements du pays dans le cadre de diverses coopérations avec l'Union européenne et ses États membres ont effectivement transformé le Maroc en première ligne de défense contre les migrants irréguliers. Pour cette raison, il est impératif de prendre les mesures suivantes pour mettre à jour la politique de coopération entre l'Union européenne et le Maroc dans le domaine de l'immigration :
- Clarifier la relation de l'Union européenne avec les pays voisins, en particulier ceux situés au sud de la mer Méditerranée, en matière de gestion et de surveillance de l'immigration ;
- Intégrer l'immigration dans toutes les politiques extérieures de l'Union européenne visant les pays tiers, en particulier les pays d'origine et de transit des migrants ;
- En raison de l'importance géostratégique du Maroc, l'Union européenne et ses États membres devraient fournir un soutien financier et technique pour approfondir la coopération avec le Maroc dans la gestion de l'immigration et la surveillance des frontières ;
- Renforcer le rôle joué par le Maroc ces dernières années dans la lutte contre l'immigration irrégulière pour protéger ses citoyens et les ressortissants de pays tiers attirés par la proximité géographique du Maroc avec l'Europe ;
- Renforcer la coopération entre le Maroc et l'Espagne en raison de leur partage de frontières terrestres et maritimes, ce qui permet de contrôler de nombreuses voies d'entrée en Europe.