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Festival de Cannes : "Inchallah un fils", pour les droits des femmes

Présenté à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2023, ce vibrant plaidoyer pour les libertés et les droits des femmes, réalisé par le Jordanien Amjad Al Rasheed, restera probablement parmi les meilleures sensations cinématographiques de cette quinzaine. 

 

(AFP) - En tenant à sa mission de jeter la lumière sur un sujet douloureusement omniprésent dans la société contemporaine, le cinéaste jordanien Amjad Al Rasheed a été accueilli par une salve d’applaudissements après la projection de son premier long-métrage. Tourné dans la pittoresque ville d’Amman et bénéficiant du soutien de la Commission royale du film de Jordanie, ce film ne laisse personne indifférent.

Âgé de 38 ans et faisant son entrée fracassante dans l’univers du cinéma avec une sélection à la Semaine de la critique, Al Rasheed s’attaque audacieusement à l’injustice flagrante infligée à son personnage principal, Nawal, incarnée par Mona Hawa. À la suite de la mort abrupte de son mari, elle se trouve dépossédée de son héritage conformément aux lois de succession locales, puisque ses biens reviennent aux parents les plus proches du défunt, son unique héritière étant une fille.

Le réalisateur nous plonge alors dans un monde de duplicité, où le beau-frère bien intentionné se transforme en une figure oppressive, réclamant ce qu’il considère comme sa part d’héritage et allant même jusqu’à menacer de retirer la garde de sa nièce à Nawal. La protagoniste se voit également trahie par son propre frère, qui préfère rester silencieux pour éviter tout scandale. Désespérée, Nawal feint une grossesse dans l’espoir d’acheter du temps.

Dans une confession touchante, Al Rasheed révèle qu’une situation étonnamment similaire a touché une personne de son entourage. " Cela m’a poussé à me demander: que se passerait-il si cette femme avait défié les traditions? Comment réagirait-elle ? " s’interroge-t-il.

Le destin des femmes, souvent dépossédées de leur libre arbitre et victimes de violations de leurs droits, est un sujet qui reste douloureusement pertinent dans le monde arabe. Après la première projection, une spectatrice émiratie a même approché Al Rasheed pour lui dire: " Cette histoire, c’est la mienne. "

" Il était temps de braquer les projecteurs sur ce problème ", insiste Al Rasheed. " On ne cesse de répéter que la femme représente la moitié de la société, alors pourquoi se voit-elle déniée de ses droits et dépouillée de ses biens? Comment peut-on espérer que la société progresse? " conclut-il de façon poignante.

Rompu aux clichés, Al Rasheed tient à préciser que les femmes qui ont inspiré son œuvre sont loin d’être des victimes silencieuses. " Ce sont des femmes fortes, prêtes à se battre ", affirme-t-il, soulignant néanmoins leur lutte constante pour se faire entendre dans une société majoritairement masculine.

Le réalisateur dépeint aussi l’intransigeance du conservatisme sociétal qui stigmatise rapidement les femmes pour leur " mauvaise conduite ", si elles sont aperçues en compagnie d’un homme hors de leur cercle familial ou rentrent tardivement à la maison.

" La réalité est tristement plus dure que ce que le film dévoile. Les injustices faites aux femmes transcendent les frontières de la classe sociale et de la religion ", déclare Al Rasheed, ajoutant un ton plus sombre à la conversation.

Enthousiasmé par l’opportunité de représenter la Jordanie à Cannes, le cinéaste attend avec impatience la réaction de son public national à cette audacieuse œuvre. " Le cinéma jordanien est encore en pleine maturation et notre peuple est très sensible. C’est une société qui n’est pas habituée à se voir dépeinte à l’écran ", explique-t-il.

Quant à la montée du cinéma arabe, Al Rasheed souligne la puissance des histoires quotidiennes qui méritent d’être partagées. Il avertit, toutefois, contre l’autocomplaisance. " Si nous persistons à faire l’autruche et à prétendre que nous vivons dans une société idéale, nous ne ferons que stagner ", prévient-il. Un avertissement sonore pour une industrie du cinéma en pleine effervescence et une société à la croisée des chemins.

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