Les Sénégalais ont commencé à voter dimanche pour élire leur cinquième président lors d'un scrutin à l'issue totalement imprévisible, qui tranchera entre continuité et changement peut-être radical après trois années d'agitation et de crise politique.
"On y est finalement arrivé. Alhamdoulilah (Dieu soit loué). Ces derniers temps n'ont pas été faciles pour le Sénégal qui a connu plusieurs bouleversements. Mais tout ça est derrière nous maintenant", se félicite Mita Diop, une commerçante de 51 ans, devant un bureau de vote à Dakar
Comme les autres électeurs, elle a choisi parmi les 19 bulletins disponibles (dont ceux de deux candidats qui se sont désistés) et, après un passage par l'isoloir, a glissé son suffrage dans l'urne, puis a trempé un doigt dans l'encre rouge, règle imposée pour empêcher que des électeurs ne votent deux fois.
Des dizaines d'électeurs attendent dans le calme leur tour devant ce bureau installé dans une école ombragée grâce à quelques arbres, comme devant les autres bureaux où se trouvaient les journalistes de l'AFP. Un certain nombre d'électeurs qui s'étaient réveillés pour la prière matinale du mois de jeûne avant le lever du jour se sont ensuite rendus directement dans les bureaux.
Les urnes et les bulletins portent toujours l'inscription "élection présidentielle du 25 février", date initialement prévue pour le scrutin et dont le report de dernière minute a déclenché une grave crise politique.
Quelque 7,3 millions d'électeurs sont appelés à choisir, dans environ 16.000 bureaux de vote à travers le pays et à l'étranger, entre le candidat du pouvoir Amadou Ba et 16 concurrents, parmi lesquels une femme ainsi que l'antisystème Bassirou Diomaye Faye.
Amadou Ba, 62 ans, Premier ministre il y a encore quelques semaines du président sortant Macky Sall qui l'a désigné comme son dauphin, et Bassirou Diomaye Faye, 43 ans, le "candidat du changement de système" et d'un "panafricanisme de gauche", sont donnés favoris. Le premier maintiendrait le pays sur sa trajectoire. La victoire du second pourrait annoncer une véritable remise en cause systémique.
Ils affirment tous deux pouvoir l'emporter dès dimanche sans passer par un second tour, qui paraît probable mais dont la date n'est pas fixée. L'ancien maire de Dakar Khalifa Sall, 68 ans, est cité comme outsider.
Les bureaux sont ouverts jusqu'à 18H00 (locales et GMT). De premiers résultats provisoires officieux pourraient être publiés dans la nuit.
Le scrutin est suivi avec attention, le Sénégal étant considéré comme l'un des pays les plus stables d'une Afrique de l'Ouest secouée par les putschs. Dakar maintient des relations fortes avec l'Occident tandis que la Russie renforce ses positions alentour.
La société civile, l'Union africaine, la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) et l'Union européenne déploient des centaines d'observateurs.
Les Sénégalais devaient initialement voter le 25 février, mais le report du vote a déclenché des violences qui ont fait quatre morts. Plusieurs semaines de confusion ont mis à l'épreuve la pratique démocratique du Sénégal, jusqu'à ce que soit arrêtée la date du 24 mars. La campagne a été réduite à deux semaines, en plein mois de jeûne musulman.
Le président sortant, aux commandes depuis 12 ans et largement reconduit en 2019, ne se présente pas à sa réélection.
«Gagnant-gagnant»
Amadou Ba se présente en continuateur de son action et en rempart contre les "aventuriers" et les "amateurs". "Nous n'avons pas besoin de responsables ayant besoin de deux ans d'apprentissage (...) Nous avons besoin de consolider nos acquis. Nous avons besoin d'aller encore plus vite et plus loin", a-t-il dit lors de son dernier meeting vendredi.
Il promet de créer un million d'emplois en cinq ans. Il doit cependant assumer l'héritage du président Sall, une pauvreté persistante, un chômage élevé, un endettement lourd, le départ en pirogue de milliers de personnes chaque année pour l'Europe, et les centaines d'arrestations de la période récente.
Le pays a connu depuis 2021 des épisodes de troubles causés par le bras de fer entre Ousmane Sonko, guide du candidat Diomaye Faye, conjugué aux tensions sociales et au flou longtemps maintenu par le président Sall sur sa candidature à un troisième mandat. La crise s'est prolongée avec le report de la présidentielle.
Des dizaines de personnes ont été tuées et des centaines arrêtées, mettant à mal l'image du pays, injustement selon le gouvernement.
Possibles tensions
MM. Sonko et Faye, détenus pendant des mois, ont été libérés le 14 mars après l'ouverture de la campagne. M. Sonko, disqualifié de la présidentielle, s'est mis au service de son second M. Faye.
Beaucoup moins populaire et charismatique que M. Sonko, M. Faye a assuré lors d'un dernier rassemblement vendredi être "prêt" à devenir président. Lui et M. Sonko attaquent M. Ba comme le perpétuateur de la gouvernance du président Sall et comme un "fonctionnaire milliardaire". Issu comme M. Ba de la haute administration des impôts, M. Faye interroge l'origine de la fortune de son ancien collègue.
M. Faye a promis vendredi une "refondation" du Sénégal, projet en vogue dans des pays voisins. Son programme prévoit de renégocier les contrats des mines et des hydrocarbures et les accords de défense. Lui et M. Sonko se sont employés à rassurer les investisseurs étrangers.
Le Sénégal pourrait rejoindre en 2024 le cercle des producteurs de gaz et de pétrole.