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L’Institut du Monde Arabe de Tourcoing découvre les icônes des pays d’islam

L’Institut du monde arabe de Tourcoing (Nord de la France) propose une exposition sur la notion de héros en terre d’islam et son évolution au cours des siècles, en s’appuyant sur des peintures, des chromolithographies et autres bandes dessinées.

Du 18 septembre 2021 au 9 janvier 2022, l’Institut du monde arabe de Tourcoing, dans le nord de la France, accueille une exposition baptisée Images de héros. Elle est notamment constituée d’œuvres prêtées par le musée du Quai Branly-Jacques Chirac et le MuCEM. Elle prend le contrepied de l’idée reçue selon laquelle les images seraient rares en terre d’islam et dévoile les nombreuses représentations de héros visibles depuis deux cents ans.

« L’idée de cette exposition est née lors du premier confinement », confie sa commissaire, Françoise Cohen, aussi directrice de l’institut depuis 2018. Elle évoque l’irruption permanente de la figure du héros dans le discours politique et dans la réalité sociale avec le combat contre le Covid-19. Ces personnages que l’on applaudit aux fenêtres à 20 heures, ce sont les soignants, alors érigés en demi-dieux. De là lui vient l’idée de consacrer un événement aux héros du monde arabe et moyen-oriental.

Du héros religieux à la star du cinéma

Mais qu’entend-on exactement par « héros » dans cette présentation ? Il est protéiforme, épousant les traits de personnages religieux (chromolithographies et peintures sous verre de la première moitié du XXe siècle) jusqu’aux petits personnages satiriques (planches de BD). Sur le chemin de ces deux représentations, on rencontre des affiches de films où trônent les stars du cinéma, de la littérature comme Farid el-Atrache, et même de la culture pop telle Oum Kalthoum. Avant de se trouver, un peu brutalement, face à des photos
de familles endeuillées, en Palestine, dont les héros sont morts au combat. Celles-ci rendent hommage aux martyrs via des autels à leur effigie, comme en témoigne la série Death, d’Ahlam Shibli.

La question de la mort est très présente. On la retrouve d’abord dans les chromolithographies de scènes de guerre, comme la célèbre bataille de Kerbala (10 octobre 680) qui opposa Husayn, le fils d’Ali, au calife omeyyade Yazid Ibn Mu’awiya. Elle est associée à un épisode fondateur de l’importance du martyr dans la foi chiite. Ces images auraient été éditées en très grand nombre. « On suppose donc qu’elles auraient été accessibles financièrement », précise la commissaire. Exposées pour leur valeur artistique, elles auraient eu un statut décoratif dans les maisons, tout en offrant la protection du personnage représenté. Outre la représentation de la mort, elles cristallisent la figure du combattant. Un autre personnage est également très présent : Antar, archétype du héros guerrier arabe.

Le combattant, la bataille et la mort se trouvent aussi dans d’autres intérieurs, ceux des familles de martyrs palestiniens, deux cents ans plus tard. L’écrivain activiste palestinien Ghassan Kanafani est cité : « La question de la mort n’appartient pas aux morts, mais à ceux qui restent en vie. » On découvre l’importance de la photographie, qui renouvelle (dès le XIXe siècle) la relation à l’image dans le monde arabe. Elle permet de construire la figure du martyr. Elle prend place au cœur de la maison, car « toute la vie sociale est hantée par ces morts qui donnent un statut social à la famille », reprend la commissaire.

Un héros, quel héros ?

Cette vision du héros combattant dévoilée par l’exposition est sûrement la plus classique. Mais on y découvre d’autres icônes, parfois moins évidentes à saisir ou plus subjectives. Humour, cinéma, guerre… Le héros peut être ainsi un paysan, comme pour Bouzid, le personnage de Slim. L’exposition nous apprend que la figure du héros est partout, et nous fait littéralement voyager autour du terme. On se demande parfois : qui est le héros de cette œuvre ? Le personnage qu’il représente ou l’auteur qui se risque à un discours satirique dans son art ?

Il arrive aussi que le héros soit invisible, comme dans l’œuvre filmée Creative Memory of the Syrian Revolution, qui répertorie des tags à la durée de vie très éphémère (quelques heures, quelques jours). Le film enchaîne avec diverses images de graffitis sur les murs d’Idlib en Syrie, des messages traduits en français par des sous-titres. Ici, le héros est multiple. Il s’agit de l’anonyme qui a réalisé son inscription en prenant des risques avant de s’enfuir, mais aussi de celui qui a capturé cet instant pour le rendre immortel.

L’angle de l’exposition n’est pas toujours facile à saisir. La liaison entre les différentes manières de concevoir et de représenter l’icône interpelle si l’on n’est pas éduqué à l’histoire des pays d’islam. Mais elle présente aussi l’avantage de ne rien mettre dans des cases : le spectateur navigue comme il l’entend entre les genres et les œuvres, profite indépendamment de ce que souhaite raconter le tout. On lui offre une certaine liberté qui le rend curieux.

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