
Maglor - Le 19 juin dernier, au tribunal correctionnel de Châlons-en-Champagne, s’est ouvert un procès inédit qui jette une lumière crue sur les dérives de l’industrie viticole française. Quarante-sept ouvriers agricoles, originaires principalement d’Afrique de l’Ouest, ont témoigné d’un calvaire vécu lors des vendanges de septembre 2023 dans le prestigieux vignoble de Champagne. Parmi eux, Boureima Kanoute, un Malien de 32 ans, s’est assis sur les bancs de la justice pour raconter un épisode qui l’a profondément marqué : « Je ne l’oublierai jamais. »
Une promesse de travail… et l’enfer en retour
Comme beaucoup d’autres, Boureima a été recruté par bouche-à-oreille pour participer aux vendanges. En situation irrégulière à l’époque, il paie 10 euros pour un transport depuis Paris jusqu’à la Marne. Mais dès son arrivée, la réalité le frappe de plein fouet. Logé dans une maison insalubre, sans eau chaude ni sanitaires fonctionnels, entassé avec des dizaines d’autres travailleurs, il doit affronter des conditions de travail et de vie dignes d’un autre siècle.
Chaque matin à l’aube, ils étaient transportés comme du bétail dans des fourgonnettes sans sièges. À midi, un sandwich congelé pour seul repas. Le tout sous les cris, insultes et menaces de leurs superviseurs. « Même malade, je devais aller dans les vignes », se souvient-il, visiblement encore éprouvé.
Un procès, mais une reconnaissance partielle
Les trois prévenus — une gérante de société de prestation et ses deux acolytes — sont accusés de traite d’êtres humains. Le parquet a requis jusqu’à quatre ans de prison, dont deux avec sursis. Le vigneron commanditaire, lui, risque une lourde amende. Pourtant, les victimes, comme Boureima, estiment que la justice ne mesure pas l’ampleur du traumatisme : « Ils ont menti au tribunal. Ce qu’ils nous ont fait est trop grave. »
Le 14 septembre 2023, l’Inspection du travail et la police découvrent, à Nesle-le-Repons, ce qui sera décrit par le procureur comme un « bidonville » : une cinquantaine de travailleurs mal logés, sans sécurité, ni hygiène, ni respect. Aucun n’avait été rémunéré. « On nous avait promis 80 euros par jour. Je n’ai jamais rien reçu. »
Renaissance et projets d’avenir
Ce procès a pourtant marqué un tournant. Grâce à leur statut de victimes coopérantes, Boureima et plusieurs de ses camarades ont obtenu un titre de séjour temporaire, valable jusqu’en 2026. Aujourd’hui, il travaille dans les travaux publics, suit des cours de français, et se projette dans l’avenir : permis de conduire, formation qualifiante, et surtout un rêve : écrire un livre.
« Je veux raconter ce que j’ai vécu dans les vignes, mais aussi tout mon parcours depuis le Mali. J’espère que ça servira à d’autres. »
Un appel à la vigilance et à la justice sociale
Ce témoignage n’est pas isolé. Il illustre la vulnérabilité de nombreux migrants exploités en silence dans divers secteurs de l’économie française. Alors que les vendanges sont souvent associées à la fête et au luxe du Champagne, Boureima nous rappelle une vérité bien plus sombre : celle d’hommes et de femmes réduits au silence, à l’invisibilité et à l’exploitation.
Le verdict est attendu le 21 juillet. Pour les victimes, il sera peut-être synonyme de reconnaissance et d’une carte de résident de 10 ans. Mais pour Boureima, rien n’effacera « les cicatrices mentales » de cette expérience.
Maglor.fr continuera de suivre cette affaire et de porter la voix de celles et ceux qui, souvent dans l’ombre, font tourner les moteurs de notre société au prix de leur dignité.